Technophilie pervasive
Le transhumanisme est un mouvement intellectuel, culturel et idéologique à portée internationale, en provenance de Californie, aux USA. [1]
Les adeptes de ce mouvement n’ont pas seulement qu’une forte attraction pour les technologies de pointe. Ils leur portent une forme nouvelle de vénération compulsive, qui induit des formes hybrides de mythologies athéistes. Les technologies sont à la fois pour eux leurs sirènes, leurs partenaires, et leurs moyens de moduler la réalité sociétale.
En effet, le transhumanisme n’est pas un mouvement clos, qui escompte seulement se dérouler en lui-même, avec un nombre réduit de participants, bien qu’il soit élitiste dans sa finalité. Non, le transhumanisme a une dynamique expansionniste et cherche la pervasion. [2] Il désire aspirer la population dans un véritable maëlstrom technologique, où l’homme ne serait plus seulement homme, mais également partie prenante à une mutation générale de la race humaine, une évolution où l’homme serait influencé de l’intérieur par des algorithmes et des modes de pensée arborescentes, où les machines seraient certainement plus intelligentes que lui, où la distinction réel/ virtuel n’aurait plus aucune importance. Cette apogée (ou périclitation) se nomme la Singularité58 (Ray Kurzweil). Elle préfigure à la post-humanité, où siégeraient et obéiraient des hommes maximisés au summum de leurs capacités, boostés par tout un appareillage technologique, en phase avec un coeur de réalité virtuelle immersive. La communication y devient mathématique et combinatoire, et non plus psychologique, sociale ou linguistique. [3]
Programmatique transhumaine
En plus du mythe de cette ère en devenir, qui est en train de se construire et de s’étendre, il s’agit de se rendre performant, par tous les moyens. En effet, le transhumanisme rejette fermement la souffrance involontaire (physique, psychique et émotionnelle), la maladie, et souhaite se soustraire aux lois de la mortalité. Les transhumanistes vont même jusqu’à croire au pouvoir de la manipulation génétique et à la cryogénisation en vue de repousser plus loin les limites de la mort.
Afin de lutter contre la vieillesse, ils désirent fabriquer des substances anti-âge, et la recherche n’a à ce niveau-là pas de prix. Afin de se protéger contre toute forme de dégradation, ils envisagent même le fait d’utiliser des virus dont la capacité spécifique est de porter des gènes dans des cellules ciblées qui génèrent des enzymes, et des protéines qui causent un accroissement du tissu musculaire. [4] Le but est de prolonger la durée de vie coûte que coûte, de réparer les organes défectueux, voire même le corps dans son entier. Pour y parvenir, il faut compter sur les développements galopants de la bio-ingénierie moléculaire, de l’ingénierie génétique et la neuro-ingénierie. [5]
Les transhumanistes veulent également profiter des progrès de l’informatique, de la bionumérique et des nanomachines pour maîtriser l’esprit, l’erreur humaine, le plaisir, pour aider à focaliser son attention et « La singularité envisage et promeut même l’idée, comme le font les extropiens, d’une ère hypothétique post-humaine. L’homme n’y serait plus acteur mais simple contributeur, sans réelle influence sur le développement du monde qui lui échapperait (…) ». [6] Ils sont en faveur de la légalisation des drogues, du dopage physique et psychostimulant (récréatif ou professionnel). Ils cherchent à développer de véritables « orgues d’humeur », à l’aide de psychotropes très forts et ciblés. Ils sont en faveur des smart drugs, ou neuroceutiques (substances psychoactives produites par l’industrie pharmaceutique [7]). L’arrêt du cycle féminin, de la procréation médicalement assistée, des banques d’ovules et de sperme, au tri d’embryons, au sommeil sur commande [8], sont considérés comme bénéfiques et souhaitables. Quant aux transformations non-thérapeutiques des états psychiques, des émotions, du corps, elles sont aussi au programme. [9]
Dans un futur lointain, les transhumanistes prévoient l’implémentation généralisée de prothèses et de greffes, des modifications structurelles de l’intellect à l’aide d’implants organiques ou informatiques, le choix des caractères génétiques de son enfant, la possibilité de changer de sexe, de devenir hermaphrodite ou sur-sexué, de modifier son apparence vers une esthétique post-humaine. [10]
Au final, ils aspirent à anthropotechniciser la société, à devenir des cyborgs, des chimères humain-animal ou des méta-humains. [11]
« Les posthumains estiment que, grâce à la robotique, à la bioinformatique, aux neurosciences, à la génomique et aux nanotechnologies, les hommes peuvent se rendre maîtres et possesseurs d’un processus d’évolution actuellement aveugle, entièrement livré au hasard. » [12] (Antoine Robitaille )
Ce qui leur importe, c’est de faire muter l’espèce humaine, quels que soient les moyens.
« Un marché estimé à 877 millions de dollars d’ici 202069. » [13]
Du profit, certes. Suffisamment pour appâter les multinationales, les milliardaires, les industriels, les ingénieurs et les chercheurs. Mais si les transhumanistes ont la fibre technicienne, ils ne peuvent à eux seuls réaliser technologiquement leurs projets. C’est pourquoi ils ont besoin du soutien d’un ensemble d’industries, mais également de technoscientifiques pour parvenir à matérialiser leurs idées. Ce soutien existe, et porte un nom : il s’agit de la Convergence NBIC.
Références
[1] Bernard Claverie, L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, L’Harmattan, Paris, 2010, pp. 26-27
[2] « Un environnement pervasif est ainsi constitué d’objets technologiques communicants, discrets, et qui se reconnaissent, se localisent, s’organisent en réseaux ad hoc, et ceci sans
action particulière de l’utilisateur qui s’en sert comme d’un prolongement naturel de lui-même ». dans Bernard Claverie. L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, op.cit., p.59
[3] « La singularité envisage et promeut même l’idée, comme le font les extropiens, d’une ère hypothétique post-humaine. L’homme n’y serait plus acteur mais simple contributeur, sans réelle influence sur le développement du monde qui lui échapperait (…) ». dans Bernard Claverie. L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, op.cit., p. 35
[4] Colin T. Schmidt, « L’homme étendu. Explorations terminologiques », dans L’humain augmenté, sous la direction d’Edouard Kleinpeter, CNRS éditions, Paris, 2013, p. 150
[5] Bernard Claverie et Benoît le Blanc, « Homme augmenté et augmentation de l’humain », dans L’humain augmenté, op.cit., pp. 69-70
[6] Ibid., p. 70
[7] Ibid., pp.72-73
[8] Dorothée Benoit Browaeys, Le Meilleur des nanomondes, éditions Buchet/Chastel, Paris, 2009, p. 163
[9] Ibid., pp. 157-158
[10] Jérôme Goffette, « De l’humain réparé à l’humain augmenté, naissance de l’anthropotechnie » dans L’humain augmenté, pp. 86-87
[11] Bernard Claverie et Benoît le Blanc, « Homme augmenté et augmentation de l’humain », dans L’humain augmenté, op.cit., p. 95
[12] Jérôme Goffette, « De l’humain réparé à l’humain augmenté, naissance de l’anthropotechnie » dans L’humain augmenté, op.cit., p.95
[13] Dorothée Benoit Browaeys, Le Meilleur des nanomondes, op.cit., p. 161