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Langue sèche et langue aspérite

Tout porte à croire que le langage se déploie comme un phénomène qui tend notamment :
1. A poser des limites tangibles en désignant les choses et les phénomènes abstraits
2. A matérialiser les données inconscientes non-discursives ou en phase de lʼêtre
3. A replacer lʼimaginaire dans un régime concret
4. A mener dans un un agir vers lʼaltérité
5. A créer une réalité singulière, commune ou collective
4. A faire médian entre les divers niveaux de réalités en vigueur
5. A représenter des forces et des phénomènes proprement insaisissables sans transformation, laquelle mutation sera induite par un filtre cognitif logicisant analogique ou linéaire
6. A déborder intrinsèquement du cadre quʼil appose comme registre commun, pour susciter des intensités qui déferlent comme autant de positionnements relatifs aux communautés interprétatives qui tiennent lʼindividu-sujet dans des pré-formations comportementales et intellectuelles définies.

La différence entre langue sèche et celle apte à vastes forages semblent même très infime (aspérite) ; la fonction du langage se replace dans les deux cas pré-cités dans le fait de matérialiser lʼindicible (phénomènes physiques ou psychiques). Dans le premier registre, nous avons affaire à un langage fonctionnel (construction de la réalité à partir de mouvements psychiques tournés vers une finalité), rationnel (intellection du message reçu ou émit sous lʼégide dʼune machine discursive classificatrice), linéaire (définition normative de lʼordre commun, défilement successif de ces normes) et utilitaire (liaison des individus dʼentre leurs perceptions, commanditée par le désir fondamental de communication entre les êtres, dʼorganisation sociale). Ce type de formulation énonciative (valorisé par les courants positivistes actifs jusquʼà nos jours depuis bien lʼavant des Lumières) reste la modalité langagière la plus courante dans nos existences contemporaines. Cette tendance se retrace dans lʼenseignement de la philosophie, de la linguistique, de la sémiotique et de la philologie, laquelle véhiculation des savoirs sera plutôt portée au travers dʼune observance plus volontiers analytique que différentielle.

Ce qui fait contraste entre les modalités discursives et non-discursives, cʼest leur inaccointance avec le cadre amené par le langage. La sonorité sourde dʼune minorisation langagière non-discursive va plus aisément claquer porte sur seuil et faire jaillir sur différents champs perceptuels. Faire transgression des limites imposées par le beau langage (littérature) ou le langage normé (science, philosophie, …). Cʼest précisément cette attitude insolente vis-à-vis des champs normatifs, inhérents au fonctionnement de société, qui va susciter des réactions fortes, sinon hostiles, chez le lecteur formé à un registre linéaire. Lʼhomme écrivant, aux quelques champs quʼil occupe, lorsquʼil va manier la langue de façon non-discursive, va opérer de manière à sélectionner non pas la terminologie la plus adéquate (scientifiquement exacte) mais qui au contraire se révélera en plus grande force dʼécart avec lʼobjet initial. De cette dissonance va surgir un conglomérat de sens sous-jacents et imprévisibles, qui vont alimenter lʼesprit du lecteur jusquʼà ce quʼil puisse non pas fixer une signification stable, mais de parvenir à concaténer plusieurs éléments de manière à les faire coexister dans un sens à la fois multiple et paradoxal. Cʼest de la force explosive générée par ce déjà-dédoublé doublement (fractal), que vont pouvoir germiner des réalités à teneur de nébuleuse abstraite. Dans le premier cas (langue sèche), il y a négation de la fonction imaginaire propre à lʼindividu au profit dʼune validation collective, dans le second (langue aspérite), il y aura construction dʼun creuset/plan-de-projection au travers duquel vont être filtrées des réalités infinitésimales, et pourtant géantes en potentialités (extraction-rétraction).

Fussent-elles frôlées, celles-ci sʼen retournent, et disparaissent.

Aussi. La langue gagne son statut sec par une territorialisation forte sur un socle de visibilité à très haute exploitation de potentiel (connaissance largement collective de…). Un langage qui se déterritorialise ne peut siéger sur la place la plus éclatante parce que celui-ci justement va foncièrement sʼemprunter par sinuosités sur la rugosité des entremurs de non-visibilité. Celui-ci va convertir toute donnée attendue en forces motrices en formations révolutionnaires, et va les contre-balancer dans un espace hyper-abstrait foncièrement mobile ; ce qui va induire pour le lecteur un état planaire de type projectif avancé. Cʼest-à-dire lui permettra de placer sous son orbite oculaire tangible une multiplicité de filtres subliminaux, à brèves temporalités dʼeffusion.

Le langage mineur a cette fonction : celle de déposséder instantanément le cadre collectif dʼune signification objective sur le propos de X phénomène. En somme il empêche sa propre nature de se faire molariser. Ce court-circuit volontairement appliqué à son propre champ dʼeffectuation va moléculariser lʼensemble des champs lexicaux et syntaxiques, les creuser labyrinthiquement de revers et de détors jusquʼà extraire un sens obscur extrêmement riche en données infra-particulaires. Soit la langue mineure comme la tranchée dʼun terrain de guerre, fondue en galeries souterraines et réseaux dʼinformations hétéroclites. Cʼest faire machine de combat que de se vouloir confondre les coexistences dans lʼéventualité exégétique ! Cʼest devenir-moléculaire que de se saisir des surfaces pour en mirer, en lʼinstance, les plus amples profondeurs.

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