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Le surréalisme

POLITISATION ET INTRICATIONS BOLCHEVIQUES

Période de l’entre-guerre. Les ravages de la Première Guerre Mondiale se font sentir sur la population parisienne de l’époque. Les surréalistes, encore jeunes à la fin de ces événements, développent presque tous un sentiment de révolte, à la fois envers la guerre et envers la génération responsable de cette guerre. [1] Celle-ci a complètement dévasté leur conception idéale du monde [2] . Leur politisation est la conséquence de l’état de choc causé par la Première Guerre Mondiale. Eluard est mobilisé en 1916 pour les soins des soldats, ce qui développe simultanément son pacifisme et la honte d’être à une place privilégiée en tant qu’infirmier ; il demande à être au front. On ne notera par contre à cette époque, en dehors de son pacifisme, aucun esprit de révolte chez lui. Cette étincelle ne se verrait alimentée qu’à partir de sa rencontre avec Breton en 1919. [3] Aragon lui-même médecin, se verra envoyé au front avec le rang d’adjudant-chef. [4] Peter Bürger relève que l’événement sanglant de la Première Guerre Mondiale aura plus de poids dans la genèse de la révolte surréaliste, que la Révolution d’Octobre, qui n’est alors pas encore considérée par les surréalistes comme un moment historique décisif pour l’histoire de l’humanité. [5] Il leur faudra plusieurs années de déambulations politiques pour que ceux-ci soient pleinement sujets au mythe de la révolution bolchevique.

Les surréalistes grandissent donc dans un contexte fort en tensions. Tous issus de familles petites-bourgeoises [6] , les surréalistes n’ont pas de capital en héritage pour pouvoir vivre de leurs arts. [7] Les études qu’ils entreprendront seront souvent dues à des pressions familiales, et différeront dans presque tous les cas de leur désir d’art et de littérature : Breton et Aragon suivront médecine par exemple. [8]

Attisés par des idéologies libertaires, les premières formes d’engagement surréaliste seront sous l’égide du drapeau noir. [9] On trouve leurs premières participations aux manifestations anarchistes en 1913. [10] Les péripéties de la Bande à Bonnot auront pareillement un effet de fascination sur les jeunes surréalistes ; Desnos et Breton seront particulièrement touchés par ces événements. [11] Commençant à écrire dans une revue appelée En route mauvaise troupe en 1916, Breton se positionnera à cette époque comme un sympathisant à l’anarchisme. [12]

Les surréalistes mettront plusieurs années avant de se rencontrer, et conceptualiseront progressivement leur projet. Il est à noter que le positionnement surréaliste en tant que groupe politisé n’aura lieu qu’en 1924. Ce n’est qu’après avoir développé l’esthétique et l’éthique propres au mythe surréaliste, que ces jeunes gens verront la nécessité de se politiser à la fois à titre individuel et en tant que groupe. [13] En premier lieu d’obédience individualiste, les surréalistes disent se désengager « de toute solidarité sociale » au profit de la révolte de l’individu seul. [14] C’est une manière pour eux de s’affirmer séparément au sein d’un groupe, et vis-à-vis du restant de la société. Cette tendance individualiste va néanmoins être décriée par le groupe surréaliste lui-même quelques années plus tard, lorsqu’il s’affiliera avec des idéologies bolcheviques. [15] En 1920, Breton pense qu’il y a un choix à opérer entre individualisme et révolution. [16] Les surréalistes s’éloignent progressivement de cette tendance politique. Non seulement, les surréalistes se rendent compte rapidement que la scène anarchiste est très admirative de la littérature bourgeoise, qu’elle est très peu sensible aux productions d’avant-garde [17] , mais ils constatent la méconnaissance qu’à cette mouvance politique du problème de la lutte des classes. [18] La pensée, qui pour les surréalistes incarne cette question, est celle développée par Karl Marx :

« Un de ces plans dominait tous les autres, c’était le plan marxiste. (…) Il est indubitable que le marxisme porte, au moins jusqu’à l’époque qui nous occupe, la plus grande chance de libération des classes et des peuples opprimés. (…) En matière de transformation sociale du monde, les considérations d’urgence primaient sur toutes les autres. L’outil voulu pour cette transformation existait et avait fait ses preuves : il s’appelait le marxisme-léninisme. » [19]

Ce revirement interne, pleinement en vigueur en 1925, change considérablement la configuration micropolitique du groupe (d’une formation individualiste à une formation communautarienne), et va projeter les membres du surréalisme dans la spirale du bolchevisme. Le communisme a pour eux à cette époque plusieurs lignes de force. Tout d’abord, il s’agit d’un modèle politique incarné, qui diffère des spéculations révolutionnaires sans fondement expérimental. De plus, le mouvement communiste fait usage d’outils d’analyse des champs historiques et sociaux [20] novateurs : en centrant sa lecture de l’histoire sous l’angle de l’opprimé par rapport à l’oppresseur d’une part, et utilisation de la dialectique d’autre part. C’est donc dans le milieu des années vingt que les surréalistes vont se montrer progressivement sensibles au mythe bolchevique. La Révolution d’Octobre développe chez eux, durant la période de leur idéalisation du communisme, une véritable fascination. [21] Leur perception idéalisée du mouvement bolchevique va prêter à quelques confusions. En effet, les surréalistes vont plaquer sur le communisme les filtres de leurs propres préoccupations : ils voient le Parti comme en faveur du pacifisme, de l’antimilitarisme, de l’anticolonialisme et de l’internationalisme. [22] Or, ils ne se rendront compte que plus tard de la tournure effective des événements bolcheviques, et ne percevront que tardivement le fait que le régime n’a strictement que faire de pareilles valeurs. Il est noter que les surréalistes avaient à cette époque toute confiance en le communisme soviétique sous sa forme léniniste, développant un fort esprit de solidarité avec le P.C. soviétique. Néanmoins, ils ne se sentiront pas du tout affiliés du Parti communiste français, qu’ils jugeront populistes. [23]

Conscients que leur seul projet surréaliste, agissant au travers des divers langages de la création artistique, ne suffirait tel quel à développer chez eux l’impulsion révolutionnaire qui les anime, les surréalistes semblent prêts à s’affilier activement à un mouvement fort, prometteur mais surtout, officiellement qualifié  de révolutionnaire. Néanmoins il faudra attendre la réunion du 23 novembre 1926 pour que scelle la volonté surréaliste de faire front commun avec le communisme. [24] On doit à cette réunion l’exclusion d’Artaud et de Soupault, et notamment, le rabrouement d’Aragon ; c’est au sein de cette réunion que l’on verra explicitement les surréalistes considérer certaines de leurs productions artistiques comme contre-révolutionnaires et leur propre projet comme insuffisant pour mener de front une révolution. Voici la parole de Soupault à ce propos :

« On a soulevé la question de l’activité des gens au point de vue littéraire, mais non au point de vue de la vie. La littérature est une activité anti-révolutionnaire, mais elle est très accessoire, plus voyante mais moins importante que la vie. Il y a trois points de vue : surréaliste, révolutionnaire et communiste. Personnellement je suis partisan de l’adhésion au P.C. Le surréalisme ne peut pas mener une révolution effective. Je suis pour l’adhésion absolue avec tous les inconvénients qu’elle peut comporter. » [25]

Ces paroles ne suffiront pas à Soupault pour crédibiliser son engagement envers le régime communiste. Suspicieux, les autres surréalistes considéreront le retournement idéologique de Soupault comme stratégique et non de l’ordre de la vocation. Breton se prononce sur la question :

« Je pense que Soupault adhérera au Parti à la première occasion pour donner le change. Mais cette adhésion n’aura pour moi aucune valeur. Son activité qui est contre-révolutionnaire continuera à l’être. » [26]

Références

[1] REYNAUD PAGLIOT Carole, Parcours politique des surréalistes, p. 7

[2] Ibid. p. 7

[3] Ibid. p. 15

[4] Ibid. p. 15

[5] BOHRER Karl Heinz, « Mythologie et non révolution », dans Surréalisme et politique, politique du surréalisme, p.58

[6] Breton est fils de journalier et d’artisan, Eluard, de comptable, Masson, d’instituteur puis de commerçant, Péret, d’employé d’administration. Le père de Desnos se trouve être mandataire aux Halles de Paris. Leiris est l’enfant d’un cadre, et Naville d’un banquier. Dans REYNAUD PAGLIOT Carole, Parcours politique des surréalistes, p. 4-5

[7] REYNAUD PAGLIOT Carole, Parcours politique des surréalistes, op.cit. p. 4

[8] Ibid. p. 5

[9] Ibid. p. 9

[10] Ibid. p. 9

[11] Ibid. p. 12

[12] Ibid. p. 14

[13] Ibid. p. 30

[14] Ibid. p. 33

[15] Ibid. p. 37

[16] Ibid. p. 38

[17] Ibid. p. 42

[18] Ibid. p. 44

[19] BRETON André, Entretiens (1913-1952), Gallimard, 1952, réédition Paris Gallimard, « Idées », 1973, p.45 cité par REYNAUD PAGLIO dans Parcours politique des surréalistes, op.cit. p.50

[20] Ibid. p. 50

[21] Ibid. p. 51

[22] Ibid. p. 52

[23] CHENIEUX-GENDRON Jacqueline, « Breton Arendt : Positions politiques, ou bien responsabilité et pensée politique ? », dans Surréalisme et politique, politique du surréalisme, op.cit. p.88

[24] Présenté et annoté par BONNET Marguerite, Adhérer au Parti communiste ? Septembre – décembre 1926, Archives du surréalisme III, 1992, éditions Gallimard.

[25] Ibid. p. 56

[26] Ibid. p. 60

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