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Mehdi Bouhanek

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Art & Kraft(s)


Je tenterai par ce texte de retracer succinctement les pans de la démarche de Mehdi Bouhanek, dans la réalisation de ce monochrome, présenté à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève dans le cadre du Grand Concours de Monochromes.

Le titre Art & Kraft(s) permet déjà plusieurs pistes interprétatives.

Référence au mouvement anglais Art & Crafts, ce titre présente un positionnement critique vis-à-vis de la fabrication en série et de la production mondialisée. A l’instar d’Art & Crafts, Mehdi Bouhanek se propose de disserter sur l’oeuvre d’art industrialisée, qui a pris son essor après Sol Lewitt, et ses Wall Drawings, oeuvres-papier sur fond de certificat d’authenticité, qui sont à faire réaliser par une entreprise. Il ne tolère pas qu’une oeuvre d’art puisse être réalisée par une entreprise privée et se positionne plutôt comme un contemplatif proche de l’artisanat. En effet, en plaçant un à un ses petits «Monochromatos» en papier kraft, il crée tout un questionnement sur le travail en série. Il ne s’agit pas d’un taylorisme où chaque ouvrier serait spécialisé dans une tâche et la répéterait toute la journée. Mehdi Bouhanek a pris son mal en patience pour coller à l’aide d’une colle de farine ses Monochromatos sur une toile, répétant toujours le même geste, alignant méticuleusement à la pince à épiler tous ces petits éléments. Néanmoins, il prend part à tout l’entier du processus et ne délègue pas à des exécutants la réalisation de son oeuvre d’art.

Proche de l’art conceptuel, Bouhanek ne cherche pas à faire de l’esthétisme. Ce qui lui importe, c’est le concept inhérent à son processus. Il s’agit donc d’un monochrome qui ne se contemple pas à des fins esthétiques, mais qui se comprend mentalement au travers de tout un réseau d’idées et de références à l’histoire de l’art.

Art & Kraft(s) est une oeuvre plurielle et nomade, car les petits Monochromatos flottants qu’il a inséré dans sa toile sont vouées à se disséminer dans toute l’exposition, envahissant l’espace. Tout comme Carl André, il est possible de marcher sur des monochromes, à la différence même que ces Monochromatos sont en papier kraft et qu’ils sont minuscules. On peut en garder avec soi, emportant à la maison un élément de cette oeuvre hors du commun. Art & Kraft(s) est en réalité un monochrome basé sur la multiplicité, car chaque Monochromato est un monochrome à part entière (rond par ailleurs, ce qui contraste avec la vision carrée ou rectangulaire que l’on attribue traditionnellement au monochrome). L’oeuvre est donc un grand monochrome (1m sur 1m) composé d’une multiplicité de petits Monochromatos. Pour ne pas se rendre malade (la pose des Monochromatos lui a déjà pris plus d’une semaine !) et pour générer une composition dynamique, Mehdi Bouhanek a fait le choix de ne pas composer uniquement le tableau de Monochromatos.

La composition qu’il a réalisée fait penser à un Mondrian, à la différence qu’il ne présente qu’une seule couleur. Quant au choix chromatique, il est involontaire.

Cela est très ironique, car le choix majeur d’un artiste de monochrome concerne la couleur.

Mehdi Bouhanek est un artiste-designer très porté sur la recherche de matériaux durables et éco-responsables, d’où le fait qu’il a choisi de récupérer du papier (qu’il avait reçu par la poste lors d’une commande de châssis) et de fabriquer de la colle de farine. En somme, il n’y a dans cette oeuvre que des éléments compostables ou recyclables (toile, bois, farine, eau, papier recyclé). Cette problématique de sustanability est dans l’air du temps, et ajouter à un monochrome une dimension écologique donne à cette oeuvre une tournure écologique et actuelle.

Cocasse, il dit avoir ajouté à «Art & Kraft(s)» un élément caché. En référence à Mansoni, il a décidé que si quelqu’un rompait la toile pour le trouver (ce, en dehors des zones précisées – voir plus loin -), cela casserait le statut d’oeuvre d’art de son monochrome. De par ailleurs, il ne s’est pas seulement entêté à coller du papier kraft sur sa seule surface visible ; il a travaillé également l’autre côté du châssis, encadrant sa signature et son texte à l’aide de papier, et ajoutant dans la fente une centaine de Monochromatos, dans le but que ceux-ci perturbent l’exposition, en s’éparpillant partout.

Il paraît qu’au départ, il avait recouvert la face cachée du châssis à l’aide de papier kraft, et qu’il avait dessiné deux cadres avec la mention «Découper ici». Cependant, il a eu peur que le jury n’ose pas toucher à sa toile. Dans cette optique, il a découpé lui-même les encarts. Mehdi Bouhanek a aussi emballé son oeuvre dans du papier kraft, afin d’être cohérent même dans le transport. Là encore, il s’est inquiété du fait que le jury puisse prendre son emballage pour l’oeuvre en soi, alors il a décidé de la déballer. Cependant toutes ces étapes font partie de son concept. En permettant au jury de découper la partie cachée de son châssis, il donne l’occasion à un tiers de désacraliser l’oeuvre d’art (peinture-papier qui se découpe pour trouver la signature et l’explication de l’oeuvre).

Sans cette découpe, l’oeuvre pourrait être considérée comme facile et sans valeur, car non-signée.

En tant que critique d’art et professeure de théorie de l’art, je cautionne cette démarche que je juge novatrice et percutante, car référencée et bouleversant les carcans du monde de l’art contemporain, qui de plus en plus souvent prescrit un art réalisé par des exécutants (assistants ou entreprises) et composé de matériaux issus de la pétrochimie. De plus, son idée de réaliser des Monochromatos flottants et invasifs est foncièrement originale.

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