D’après le rapport du GAFI sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme par des transactions liées à des biens culturels 1, 65,1 milliards USD ont été blanchis dans le secteur de l’art en 2021. Si la Confédération parvenait à capter ne serait-ce que 10 % de ces fonds évacués, elle pourrait contrebalancer cet argent dans le secteur culturel.
Ainsi la proposition de Nathalie Duc est d’entreprendre une réforme nationale, avec la création de 26 Offices de Régulation du Marché de l’Art (ORMA). Ces offices cantonaux engageraient des spécialistes de domaines comme la criminologie, l’art, l’histoire de l’art, la recherche en provenance, le marché de l’art, l’économie, la finance, la fiscalité, la sociologie, les sciences politiques, la cybersécurité…
Des équipes d’enquêteurs cantonaux seraient formées. Ces équipes enquêteraient aléatoirement ou sur suspicion à propos de certains acteurs du monde de l’art.
Les griefs recherchés sont le blanchiment d’argent et le blanchiment de la fraude fiscale : cependant, la Confédération et les cantons ne doivent pas pour autant s’infiltrer dans la vie privée de tous les acteurs concernés par le monde de l’art. Les enquêtes doivent être uniquement ciblées sur les fonds transités, et non sur la vie privée des sujets à enquête.
Tous les acteurs du monde de l’art actifs en Suisse devaient, lors de chaque transaction, remplir un formulaire sur une plateforme web cantonale. Il y aurait 26 plateformes web, une par canton. La raison d’avoir 26 sites et non un seul est qu’une décentralisation induit une protection contre le piratage et l’espionnage international. La décentralisation est une des clefs de la sécurité informatique. Les artistes, les acheteurs d’art, les collectionneurs, les galeristes, les maisons de vente aux enchères, les ports-francs, les entreprises de finance liées à l’art, les marchands d’art, tous devraient enregistrer chaque transaction sur un système étatique numérique décentralisé. Chaque enregistrement sur une plateforme web cantonale générerait un QR-Code, à placer derrière l’oeuvre, qui ne serait lisible qu’à l’aide d’une clef, que seule l’ORMA et les douanes détiendraient.
Si un acteur déroge aux règles mises en place, sa peine serait pécuniaire. Il faudrait que la peine pécuniaire soit extrêmement élevée, pour refroidir les acteurs quant à la possibilité de frauder ou de perpétrer un crime avec l’art. Le contrecoup d’une fraude ou d’un crime lié à l’art pourrait aussi aller jusqu’à une peine privative de liberté, ou la confiscation de biens culturels problématiques.
Il est possible que de telles mesures refrènent le marché de l’art helvétique pendant quelques années, mais les personnes troubles dans leurs pratiques liées à l’art quitteront la Suisse, et ne resteront que ceux qui coopèrent.
A long terme, la Suisse va développer une image au niveau international de marché de l’art sain et régulé, propulsant la culture helvétique sur le devant de la scène, donnant une image de ses acteurs comme étant éthiques et transparents. La Suisse aurait avec cette idée la possibilité de se positionner à l’international sous les lumières d’un marché de l’art sain et d’une culture foisonnante.
Ces 65.1 milliards qui pourraient potentiellement être captés, seraient répartis dans quatre secteurs.
Les premiers à bénéficier de tels fonds seraient les artistes.
Nathalie Duc propose plusieurs manières de les rétribuer :
– Soit l’ORMA attribuerait à tout artiste diplômé d’un bachelor en arts visuels, ou à tout artiste autodidacte confirmé, une rente, indexée sur l’inflation. Cette rente serait cumulable à d’autres prestations sociales, comme le service social, l’AI, l’AVS ou les prestations complémentaires.
– Soit l’ORMA rembourserait tous les frais liés à la création des artistes confirmés, sur présentation d’une facture ou d’un ticket de caisse. L’ORMA aurait le choix de refuser certaines factures, comme le font les prestations complémentaires.
– Soit la Suisse offrirait un atelier à tout artiste confirmé.
– Soit les cantons achèteraient plus d’art local et réaliseraient des expositions régulièrement .
– Soit des bourses cantonales financées par l’ORMA seraient attribuées à de nombreux artistes locaux.
– Soit les artistes pourraient adresser des demandes de financement intégral d’un projet à l’ORMA.
Les artistes bénéficiant de prestations sociales pourraient conserver leurs gains. Tous les artistes jouiraient d’un droit de suite, leur permettant de recevoir un pourcentage lors de chaque vente.
Les artistes s’appliqueraient en échange, à faire leurs bilans annuels, et à les joindre à leur déclaration d’impôts, en conservant les tickets de caisse. Ils devraient aussi enregistrer toutes leurs ventes à l’aide d’un formulaire présent sur la plateforme de l’ORMA de leur canton, précisant le prix de l’oeuvre, l’argent payé en cash, le lieu de la transaction, le nom de l’acquéreur et des intermédiaires.
Les fonds récoltés par l’ORMA pourraient également être alloués aux musées. Ceux-ci seraient ainsi en mesure de se défaire de mécènes qui les contraignent dans leur programmation ou les choix idéologiques de leurs acquisitions. Les musées pourraient engager plus de personnel et mieux le payer. De tels fonds publics permettraient une recherche de provenance accrue de la part des musées, qui est une activité extrêmement coûteuse, car longue à entreprendre. La recherche de provenance réalisée par les musées aiderait l’ORMA à retracer le parcours des œuvres d’art et des transactions liées.
Le troisième secteur qui pourrait bénéficier de fonds captés par la lutte contre le blanchiment d’argent et le blanchiment de la fraude fiscale liés à l’art serait le monde des galeries. Seules les galeries coopérantes avec ce système pourraient recevoir de l’argent de l’ORMA. Toute galerie remplissant minutieusement ses formulaires recevrait une subvention conséquente. Les galeries qui ne coopèrent pas ou qui sont incriminées perdraient leurs subventions.
Les derniers secteurs qui recevraient de l’argent de ce système serait les Offices de Régulation du Marché de l’Art eux-mêmes.
Si les amendes ne suffisent pas en terme de financement, une très légère taxe à pourcentage pourrait être introduite sur chaque transaction d’objets culturels réalisée sur le territoire suisse. Lors d’une petite transaction, la somme captée par l’État serait minuscule, mais lors de plus grandes transactions, les fonds obtenus pourraient se révéler très conséquents.
Comme toutes les œuvres vendues seraient enregistrées sur les sites web des Offices de Régulation du Marché de l’Art, il serait facile d’introduire une taxe.
Cependant, une telle pratique pourrait refroidir toute la scène artistique, et tuer dans l’oeuf le marché de l’art helvétique. C’est pourquoi la présence d’une taxe sur les transactions de biens culturels devrait être minutieusement réfléchie et sous-pesée.
Quoiqu’il en soit, ce mécanisme permettrait d’un côté d’endiguer des pratiques troubles qui ont court dans le marché de l’art, et de rétribuer les artistes, les musées, les galeristes avec l’argent de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre l’évasion fiscale.
Ce système mérite d’être discuté démocratiquement, c’est pourquoi Nathalie Duc est à l’écoute de vos avis sur la question.
Vous pouvez vous exprimer en la contactant ICI.
1 FATF (2023), Money Laundering and Terrorist Financing in the Art and Antiquities Market, FATF, Paris, France https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Money-Laundering-Terrorist-Financing-Art-Antiquities-Market.html