Peter Paul Chocolates
Si Paul McCarthy est connu pour son sens du scandale, il semble adéquat de considérer l’une de ses oeuvres «Peter Paul Chocolates» comme proprement apte à réaliser une critique pertinente des systèmes de production/diffusion du capitalisme avancé.
Ainsi, une galerie newyorkaise, le Maccarone, en partenariat avec sa galerie londonienne Hauser & Wirth comme base contextuelle.
La mise en place d’une entreprise (personne morale effective juridiquement ; principe que l’on retrouvera chez Wim Delvoye avec ses machines à caca), retraçant les diverses étapes de la production d’un produit standardisé. L’objet recraché par l’entreprise se trouvant projeté sur le marché (via la galerie) juste avant les fêtes de Noël pour la somme modique de 100 dollars, le geste de McCarthy, toujours en proie à un humour amer, devient non seulement caricatural d’un système issu de la révolution industrielle et des stratégies impérialistes de la classe bourgeoise de ces deux derniers siècles, mais se traduit également comme un outil de résistance froid, cynique et efficace. Valeurs qui, à notre époque, se deviennent reines trans-nationales.
A trop regarder le nain (qui n’a de Santa Claus que le prétexte), on se voit dans l’obligation de constater que les objets que celui-ci brandit (un « sapin » et une « cloche ») n’ont pas été exclusivement sélectionnés pour leur caractère culturel traditionnel. En effet, la connotation sexuelle de ces deux artefacts en chocolat rehausse la nature explosive de l’oeuvre par une lecture iconographique à sens pluriel. Si l’allusion sexuelle dans l’art contemporain peut être gratuite, si ce n’est sans fondement, McCarthy semble apparemment avoir réfléchit attentivement à la connotation des objets dont il a fait choix. Soit un butt blug sur fond de branlette. Un butt blug est un petit ustentile qui s’introduit dans l’anus, lors des préliminaires notamment. Celui-ci a pour fonction d’attiser l’excitation sexuelle ; le parallèle entre le butt blug et les stratégies marketing mises en place pour faire saliver tout potentiel consommateur semble parfaitement logique et envisageable. Aussi. L’action de masturbation, sous-entendue par la main du nain sur la cloche (laquelle pour socle aura écopé de deux formes sphériques horizontalement placées). La zone étant assez explicitement érogène, il ne devient pas peu aisé de remarquer l’action dont il est question. La masturbation en tant que telle porte en elle le sens d’une consommation égoïste, et pourrait, à force d’interprétation, mener à réfléchir à la notion d’individualisme, idéologie ou moeur au coeur de nos préoccupations contemporaines. Le nain, lui-même, est en chocolat. Il se consomme. Pire ! S’il ne s’avale pas avec la délicatesse d’une pilule ultra, il se consumera progressivement de façon autonome, par dégradation naturelle. Impossible d’en faire collection. Un cauchemar pour la restauration.
A cela, ajoutons la dimension monétaire. 100 dollars la pièce. Cher pour une gourmandise. L’occasion rêvée pour une oeuvre d’art (ou combien, l’arrivée des grandes soldes !). Ou suffisamment à bas prix pour détourner certains collectionneurs ayant des tendances spéculatives. L’espace de la galerie lui-même joue un rôle très conséquent. Non seulement en tant que dispositif, mais surtout en terme de machine de production. Ainsi, l’espace privé de la galerie se trouve temporairement transformé en entreprise ; le contexte artistique se voit attaqué de l’intérieur par toute une chaîne de production bien à l’image des rythmes et des croisières industrielles contemporaines. L’espace même de la galerie est découpé en quatre parties, destinées à retracer les divers processus de production (production/stock/ diffusion/vente).
Compte tenu que l’entreprise, pour être considérée comme telle sur un plan pratique, doit satisfaire sur un certain nombre de normes techniques, la galerie a dû prendre des précautions et remoduler l’entier de son espace afin que celui corresponde aux normes effectives. Pour des raisons d’hygiène, il n’était pas directement permit de visiter toutes les sections de l’entreprise ; c’est donc à l’attention des visiteurs qu’auront été mis en place d’habiles dispositifs, qui par reflets et par miroirs leur permirent néanmoins d’observer toutes les phases de production de l’entreprise « Peter Paul Chocolates ».
Le rythme de génération sérielle de nains en chocolat style Père Noël litigieux étant très soutenu (10’000 pièces par jour), il ne semble pas inadéquat de faire rapport avec les principales idéologies et stratégies entrepreneuriales que sont le culte de l’efficience, l’outil de rationalisation, ou encore le mythe de la croissance infinie. « Peter Paul Chocolates » propose aux visiteurs d’observer de leurs yeux toutes les phases qui précédent l’existence d’un objet de consommation sérialisé.
En cela Paul McCarthy offre un champ de visibilité pour les forces de production à l’oeuvre pour lui. La procédure de production devient dans « Peter Paul Chocolates » l’objet même à observer. De même, Paul McCarthy réalise un emballage aux couleurs vives représentant aisément le procédé de transformation d’une matière travaillée en produit commercialisable. Pour séparer les différentes sections de son entreprise, l’artiste utilise des coloris différents. Les couleurs sont utilisées comme ustentiles ; du coloris fonctionnaliste. Dans tous les cas, l’oeuvre de Paul McCarthy peut prétendre présenter un processus rarement représenté : celui des terribles « avantages » du taylorisme avancé, du remaniement entrepreneurial rationalisant, de la mise en lumière d’un produit-phare et celui de sa commercialisation, ici ironique et tout sourires d’amer.