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Anthropo-technicisation de la singularité humaine

Convergence NBIC

La Convergence NBIC est un rassemblement pluri-disciplinaire porté par un programme de recherche, ayant pour vue de développer des projets issus de domaines tels que les nanotechnologies, la cognitique, les sciences de l’information, les biotechnologies. [14] La cognitique est une discipline nouvelle alliant neurosciences, intelligence artificielle ou prothétique, sciences de l’information, études des phénomènes sociaux-politiques et des réseaux, du traitement de l’information. [15] La cognitique a pour dessein de générer des interfaces entre univers naturel et synthétique, mais également de développer des systèmes capables de faciliter les rapports entre humains et entités robotiques. Elle aspire à intégrer dans les corps des éléments artificiels, à l’exemple du professeur anglais Kevin Warwick, qui s’est implanté des électrodes dans le cerveau. La cognitique essaie de numériser la conscience, de façon à pouvoir uploader les informations d’un individu directement via son cerveau [16], mais aussi de produire des dispositifs d’aide à la décision, de contrôle, de supervision et de maîtrise de l’erreur humaine.[17] Les sciences et technologies de l’information, quant à elles, rassemblent des domaines tels que l’électronique, l’informatique traditionnelle ou quantique, la robotique, les télécommunications et les mondes virtuels. [18]

Dérives et détournements technologiques

Les dérives possibles relatives au projet transhumaniste sont légions. Notons de prime abord les problèmes liés à l’implantation d’électrodes dans le cerveau. Comme l’individu ne saura plus si ses émotions lui viennent de son esprit ou de son implant, il risque de développer de nouveaux troubles :

« En état connecté directement, le sujet ne parvient plus à faire la différence entre ce qui provient de sa volonté et ce qui est programmé par la technique embarquée dans son corps. L’immersion sensorielle est si efficace, qu’à la différence du trouble identitaire qui conservait le corps de référence en mémoire, une hybridation complète tend à établir une continuité et une homogénéité entre réel et virtuel ». [19] (Bouko et Bennas, 2012)

Comme l’individu implanté ne sera plus capable de savoir si ses pensées, ses sensations ou ses perceptions proviennent de lui-même ou de la technologie qu’il a fait implanter, il risque de développer une forme nouvelle de schizophrénie. La dislocation ne sera pas entre son subconscient et le réel, mais entre la virtualité et les perceptions naturelles. Une telle fracture peut non seulement être inconfortable, mais elle peut mener l’individu à confondre les divers niveaux dans lesquels il se déploie, et le pousser à des actes toxiques pour lui-même ou son prochain. Par exemple en cas de dérive meurtrière, les tribunaux se trouveront face à un problème insoluble : est-ce à cause d’une déficience de sa technologie que l’individu « X » est passé à l’acte, ou est-ce de sa faute entière ?

Les possibilités de hacking de son implant ou de son dispositif embarqué amènent également d’autres problèmes. Il devient possible de manipuler les populations, en envoyant des suggestions, des affects ou des informations spécifiques. Cela pose particulièrement problème dans le cadre de votations, où le résultat des votes pourraient réellement être influencés, et rendus fantoches. Mais cela pourrait générer d’autres méfaits, comme celui de suggérer l’achat d’un produit via son implant. Le sujet serait ainsi totalement aux mains des industriels, et pourrait induire par ses achats compulsifs suggérés une montée de croissance du capital des industries, par exemple agro-alimentaires. Ce pouvoir de suggestion est à cumuler à celui de la surveillance.

Une fois implantée, la technologie peut ingurgiter un nombre conséquent d’informations sur son usager. L’implant pourrait capter ses données biologiques, psycho-émotives, mais également enregistrer ses paroles et géolocaliser tous ses déplacements. Compte tenu que toutes ces données seront transitées dans des grandes centrales de traitement, elles n’appartiendront plus à l’usager, et pourront être utilisées à son insu, contre lui-même. Il ne s’agira plus seulement de ficher les individus, mais de collecter des données relatives à l’intériorité d’un sujet, générant ainsi des profils complexes et ré-ajournés automatiquement par des algorithmes. Et au vu des immenses profits qu’une telle collecte peut induire, il est difficile d’imaginer un usage respectueux de la vie privée des individus implantés.

Cela d’autant plus que les transhumanistes ne développent pas leurs idées au sein d’un projet politique clair, en tout cas pas dans un modèle social et régulé. Il est à noter que, bien qu’ils soient d’obédiences politiques différentes (néo-libéraux, libertariens, socio-démocrates, post-genderistes, technogaïanistes, … [20]), ils sont plus ou moins tous en faveur de la disparition de l’État, de son instrumentalisation et d’une libéralisation sans concession des marchés.

Un tel positionnement laisse croire que face à un tel eldorado économique (traitement des données internes au sujet), les transhumanistes et les agents de surveillance du futur ne poseront aucun cadre permettant à l’individu de conserver la mainmise sur les données que générera son implant. L’absence de règles dans le domaine de la sécurité privée et de la captation des données liées à Internet préfigure déjà l’usage déréglementé qui pourrait avoir cours avec des implants.

Un autre problème est relatif à la technologie implantée elle-même. Non seulement celle-ci sera soumise aux lois de l’obsolescence (il faudra ainsi changer de technologies au fur et à mesure des « progrès » des technologies implantables), mais elle sera accompagnée d’obligation d’abonnements, de frais de maintenance, qui tiendront l’utilisateur dans un état de dépendance financière. [21] Choisir de s’implanter une technologie peut être choisir « une voie d’aliénation de soi, où l’individu devient un dispositif de performance, un produit marketing, une image à vendre, parfois [22] au risque de sa santé et de son identité.» [23]

L’augmentation des disparités sociales font aussi partie des risques du projet transhumaniste. S’il devient non seulement à la mode, mais également nécessaire de s’augmenter pour avoir une place sociale ainsi qu’un emploi, les classes plus démunies et les techno-résistants peuvent se trouver relégués à un statut inférieur, subir une pauvreté accrue ou être condamnés à la disparition. [24] Cette scission se fait déjà sentir aujourd’hui :

« Le risque de marginalisation des habitants des zones ou habitats non connectés par des réseaux à haute performance commence déjà à se faire sentir, augmentant la fracture numérique, vers un monde et une société à deux vitesses. » [25]

De tels changements ne sont pas sans conséquences. Avec l’expansion du transhumanisme, il pourrait devenir obligatoire [26] de faire port de technologies (embarquées ou implantées), sous peine d’exclusion, de chômage, de précarité ou de traque sécuritaire. Les personnes ne se soumettant pas à la pervasion des produits technologiques en vente sur les divers marchés risquent fort de devoir adapter leurs modes de vie en perdant tout accès au confort, à l’information, aux soins, aux services bancaires, à la nourriture des supermarchés. Faire le choix de résister à ces dispositifs technologiques ne relève pas de la simple opinion : c’est une décision quant à un nouveau mode de vie. Refuser les technologies embarquées ou implantées peut amener un grand nombre d’ennuis et de complications, à commencer par le profilage et le flicage, la peur et la pauvreté. Pas tout le monde ne sera capable de renoncer à un confort encore plus moelleux que celui de notre époque actuelle. Plus qu’un choix seul, c’est une vocation. L’avenir nous dira qui luttera et comment il s’y prendra.

Références

[14] Jérôme Goffette, « De l’humain réparé à l’humain augmenté, naissance de l’anthropotechnie » dans L’humain augmenté, op.cit., p. 89

[15] Edouard Kleinpeter, L’humain augmenté, op.cit., pp.197-198

[16] Bernard Claverie, L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, op.cit., p.19

[17] Bernard Claverie et Benoît le Blanc, « Homme augmenté et augmentation de l’humain », dans L’humain augmenté, op.cit., pp.67-68

[18] Bernard Claverie, L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, op.cit., p. 38

[19] Ibid., p. 18

[20] In Bernard Andrieu «L’homme hybride : mixités corporelles et troubles identitaires », dans L’humain augmenté, op.cit., p. 123

[21] Transhumanism.wikia.com

[22] Bernard Claverie et Benoît le Blanc, « Homme augmenté et augmentation de l’humain », dans L’humain augmenté, op.cit., p. 77

[23] Jérôme Goffette, « De l’humain réparé à l’humain augmenté, naissance de l’anthropotechnie », dans L’humain augmenté, op.cit., p. 102

[24] Bernard Claverie, L’homme augmenté, néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, op.cit., pp. 97-98

[25] Ibid., p. 106

[26] Ibid., p. 97

 

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