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Commentaire sur le Key-Déli-Ô-Scope

L’Orthogonie, aussi appelée magie turquoise, est une pratique faisant tout à la fois usage de l’imagination et de la technologie. Non-violente, la magie turquoise soigne les saufsurvoyants, et permet d’extraire des technologies telles que des sondes. L’Orthogonie est une méthode qui confère à son praticien le pouvoir d’explorer son inconscient, d’utiliser ses forces vives pour soigner. En réalité, l’Orthogonie est inspiré du surréalisme, qui cherche les révélations intuitives et à comprendre les babillages de l’inconscient.

Les oeuvres surréalistes ont la caractéristique d’habiter ou de créer une tension à l’aide d’éléments hétérogènes, formant ainsi un écart et/ou une contradiction au sein même de leurs réalisations. Prenons l’exemple de la célèbre phrase de Lautréamont, revendiquée par les surréalistes : en effet, le surréalisme est …« Beau comme la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ». On ne peut même comprendre un texte ou une oeuvre surréalistes sans penser de façon analogique ; ce qui importe, c’est les réseaux d’idées subalternes qui se constitueront au travers du flux interprétatif. Il y a donc souvent un élément manquant, un « trou dans la chaîne » discursive d’un texte surréaliste. Ce trou est ce qui va laisser la vacuité nécessaire à l’imaginaire pour faire rhizome avec les éléments hétérogènes, quoique entièrement propices à la combinaison.

« Un poème surréaliste ressemble à une pyramide renversée débutant par un mot ou un accouplement de mots rapprochés inconsciemment, qui provoquent l’éclosion de l’image. Celle-ci crée un champ magnétique par lequel d’autres images sont aimantées, et où elles se multiplient dans des directions quelquefois choisies délibérément par l’auteur, mais qui dans d’autres cas, dépendent de forces spontanées et fortuites . » [17]

Cette description du poème surréaliste correspond parfaitement à la pratique orthogonique. Celle-ci conglomère des éléments hétérogènes, qui jaillissent tantôt de la volonté consciente du pratiquant, tantôt de son inconscient. Dans un même ordre d’idée, les surréalistes s’opposent au rationalisme. Ce courant est perçu par les surréalistes comme une stratégie idéologique qui tend à couper à la source tout élan créateur. Les saufsurvoyants, en pratiquant l’Orthogonie, sortent de la rationalité qu’on attribue ordinairement aux technologies ; ils en débordent, ils font couler un flot magmatique entre les câbles, ils font jaillir des électrodes et des transistors des images folles.

Nombreux sont les éléments, dans Le Key-Déli-Ô-Scope, qui appartiennent à notre actualité. La fiction les étire certes. Mais il est possible pour le lecteur de déceler ce à quoi fait référence tel ou tel objet. Ce court chapitre a pour vocation d’éclaircir ces liaisons. Ainsi, l’appareillage Key-Déli-Ô-Scopique a un triple référent.

En premier lieu, il fait écho à l’Occulus Rift157, jeu vidéo immersif visualisable à l’aide d’un visiocasque. L’Occulus Rift a été racheté par Facebook [18], ce qui laisse penser que l’entreprise risque fort de développer un réseau social immersif. Ensuite, le Key-Déli-Ô-Scope peut faire penser à Second Life [19], jeu vidéo en ligne dans lesquels les individus sont invités à créer un avatar. Le jeu est censé leur conférer une nouvelle vie virtuelle. Le lien entre Second Life et le Key-Déli-Ô-Scope réside aussi dans la présence d’avatars et dans la forte présence de publicités (qui dans l’histoire, sont projetées directement sur la rétine de l’Ô-plugué). Enfin, les lentilles keyscopiennes sont à mettre en lien tout à la fois avec les Google Glass [20], et les lentilles développées par l’EPFL [21]. Les Nuées d’Oiseaux ont également trois référents tangibles. Tout d’abord, Nuées d’Oiseaux (HummingBirds) est un nouvel algorithme, utilisé par Google depuis 2013 [22].

Claytronique et l’Université de Carnegie Mellon sont en train de créer les « catomes [23] », qui se regroupent et se meuvent en essaim. Cette nuée de petites sphères ne comporte pas en son sein des caméras, mais à l’avenir, il est probable qu’un tel dessein soit effleuré. Les Nuées d’Oiseaux se rapportent également aux poussières et aux brouillards intelligents, aux nuages-espions, aux swarm-bots [24]. Les brouillards intelligents sont des essaims de capteurs sans fil, grands comme des pépins de melon, qui peuvent se cacher dans les murs. Les nuages-espions, quant à eux sont des « puces électroniques miniaturisées communiquant entre elles par des liaisons sans fil et relayant des informations jusqu’à un système informatique centralisé [25] ». Comme cela a été dit plus haut, les mouches/ moucherons en forme de drones sont déjà produits par l’industrie militaire. Le fait de les mettre en jeu dans la nouvelle a pour but de visibiliser cette technologie. Le troisième référent est un matériau littéraire.

En effet, après avoir eu l’idée des Nuées d’Oiseaux, un livre a été découvert. Il s’agit des Abeilles de Verre de Ernst Jünger [26]. Dans cet ouvrage, un industriel de la robotique possède dans son jardin des abeilles translucides, qui butinent les fleurs de son jardin. Ces abeilles sont à mettre en lien avec les Nuées d’Oiseaux, car il s’agit d’un essaim transparent. Néanmoins, les abeilles de verre ne sont pas des technologies de surveillance, comme c’est le cas pour les Nuées d’Oiseaux. Les Gobeurs (avalant les mouches-drones) et les brûmes (neutralisant les Nuées d’Oiseaux) sont par contre des inventions sans référent réel, dont la vocation est de contre-carrer les technologies citées plus haut. Résultantes L’écriture et la conception de cet opuscule dystopique ont été considérables en terme d’apports pour la recherche. Même si la psychologie des personnages n’est, dans le récit, que très peu élaborée, écrire une fiction permet de faire sentir des affects.

Dans le cadre de la recherche, j’ai pu comprendre que le sujet de la surveillance était bien plus émotionnel que technologique. Par exemple, le panoptisme est un mécanisme psychologique qui génère de nombreux affects négatifs. Le fait d’être indifférent et de n’avoir cure de la surveillance est également un affect (moins intensif, mais un affect tout de même). La pulsion scopique est elle-même accompagnée d’émotions très puissantes (attraction/répulsion).

Ainsi, la fiction est une voie idéale pour écrire de manière émotionnelle sur un sujet émotionnel. L’entier du processus de recherche m’a énormément apporté. Non seulement il m’a permis d’affronter, de traverser et de résorber ma plus grande peur, il m’a renforcé et rendu plus lucide, mais il m’a donné l’occasion rêvée de réfléchir à des solutions au problème de la surveillance, et d’en trouver. Alors que j’étais au début de la recherche débordée par des affects négatifs et habitée par un positionnement pessimiste, je réfléchis aujourd’hui avec enthousiasme aux moyens de réagir à des problèmes macroscopiques tels que la surveillance ou le transhumanisme.

Références

[17] Jean Weisgerber, Les avant-gardes littéraires au XXe siècle, vol. II, Comité de Coordination de l’Histoire Comparée des Littératures de Langues Européennes, 1984, p. 401

[18] http://www.oculus-rift.fr/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Oculus_rift

[19]http://secondlife.com/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Second_Life

[20] http://lunettesgoogle.fr/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Google_Glass

[21] http://www.futura-sciences.com/magazines/high-tech/infos/actu/d/technologie-lentillescontact-zoom-incorpore-57219/

[22] http://searchengineland.com/google-hummingbird-172816

[23]Dorothée Benoit Browaeys, Le Meilleur des nanomondes, op.cit., p. 125

[24] Ibid., pp. 109-111

[25] Ibid., p. 111

[26] Ernst Jünger, Les abeilles de verre, éditions Christian Bourgeois, Paris, 1971

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