L’effet du panoptique ne provient pas seulement d’une architecture spécifique, combinant tour centrale et cellules agencées de façon circulaire. Il prend également corps dans l’appareillement technologique de notre quotidienneté. Je souhaiterais ici introduire deux néologismes qui traduisent différents rapports affectifs à cet appareillement.
L’insurvoyance est le fait de refouler la problématique de la surveillance, ou de s’y résigner. L’insurvoyé se laisse faire ; la surveillance n’impacte pas directement sa vie, même si elle opère sur lui.
L’état d’être « quadrisurvoyé » revient à subir le panoptisme de façon telle qu’il en résulte de la souffrance, ainsi que toute une palette d’émotions négatives, telles que l’angoisse, la peur, l’apathie, … Cela a modifie en profondeur le comportement du quadrisurvoyé, qui comme son nom l’indique, se retrouve totalement quadrillé par l’effet du panoptisme. Il n’est pour lui plus possible de se sentir en sécurité, quel que soit le contexte dans lequel il se trouve. Il en résulte une peur panique des technologies, une méfiance considérable orientée vers des services informatiques ou téléphoniques, mais également orientée vers des personnes. Le quadrisurvoyé se sent traqué en permanence. Comme il ne peut pas vérifier à quel niveau ni à quelle fréquence il est surveillé, il en vient à considérer qu’il se trouve en permanence sous le joug d’un regard. Le quadrisurvoyé instaure en lui-même un jeu de double vision : à la fois celui-ci observe le monde par ses yeux propres, à la fois il se regarde par le truchement d’une instance de contrôle fictionnelle. Cette duplication n’est évidemment pas sentie comme imaginaire, bien qu’elle le soit : en effet, on ne peut sentir le regard d’une caméra, on ne peut que le co-créer.
La saufsurvoyance, bien au contraire, ne produit pas d’état d’être néfaste pour l’individu qui la ressent. Le saufsurvoyant sait pertinemment que la surveillance existe et qu’elle est appliquée de façon massive, mais réintègre le regard en survol qui oppresse le quadrisurvoyé, de manière à annuler ses effets angoissants. Le saufsurvoyant peut composer avec les éléments qu’il a en mains, sans pour autant subir des crises de panique. Il reste à l’affût, mais ne dramatise nullement la situation. Libéré de l’oppression quadrillante, le saufsurvoyant peut se mettre en création, mettant en jeu les éléments dont il a fait l’expérience précédemment. Il devient possible de se détacher du ton alarmiste propre aux états de quadrisurvoyance, et d’exposer sans débords affectifs son objet d’étude. Le saufsurvoyant sait distinguer ce qui est relatif à une situation sociétale et ce qui touche sa vie personnelle. Une fois détaché des affects paralysants de la quadrisurvoyance, le saufsurvoyant peut rentrer en résistance et développer des outils afin de sensibiliser la population du problème massif qu’est la surveillance.