– Qu’est-ce que tu as fait sur le Key-Déli-Ô-Scope, Aksel ? Pourquoi t’es-tu connecté ?
– Je voulais… je voulais vérifier si ce que m’ont dit les saufsurvoyants était vrai. Bien entendu, je n’ai rien trouvé.
– Non… ! Tu as osé faire des recherches sur l’Ô-Key ? Après tout ce qu’ils ont fait pour… ?
– Ecoute, en tant qu’agent de surveillance, j’étais bien au courant que si toutes mes entrées sur le logiciel de recherche seraient passées sous le crible du Scrutatorium. Non. J’ai simplement pris rendez-vous avec un Ô-Médecin, et demandé un check total de mon corps. Bien entendu, il s’est avéré que j’étais en bonne santé.
– Tu es… passé dans un scanner corporel ? Tu as donné TOUTES tes informations biométriques à un Ô-Médecin ? Mais pourquoi ? C’est de la folie pure !
– Je voulais savoir si c’était vrai. De toute façon, il y a des scanners corporels dans tous les aéroports, et comme j’ai beaucoup voyagé, ils avaient déjà toutes mes données.
– Mais pas les organes internes !
– Tu sous-estimes les progrès de la biométrie…
– Soit, peut-être.
– Après quoi, je rentrai chez moi et ôtai tout mon attirail. J’avais vu en passant que j’avais vingt-quatre messages vocaux, dont dix de mon patron. Je grimaçai, en pensant à mes amis, à ma copine. Si j’aidais les saufsurvoyants, j’allais devoir tous les quitter. Ne jamais les revoir. Bien que je ne les rencontrais que par l’intermédiaire du Key-Déli-Ô-Scope, jamais en présence. J’étais dévasté. J’absorbai des capsules pour me calmer. Mais lorsque j’eus faim, je n’eus pas le courage de passer à l’acte. Me faire livrer un plat pré-préparé par un drone commercial, le voir à ma fenêtre, devoir passer une nouvelle identification biométrique, et surtout manger, étaient au-dessus de mes forces. Comment allais-je faire ? Je ne pouvais plus me nourrir. Pas après ce que j’avais appris. J’étais condamné à mourir de faim dans un appartement domotique, où tout était fait pour mon confort. C’était triste, mais c’était comme ça. Je savais que je devais me rendre dans mon alvéole de travail, dans le Nid Alvéolaire. Mais je redoutais plus que tout de me trouver face à mon boss, qui ne manquerait pas de m’appeler dans son alvéole supérieure. Au lieu de cela, je m’enivrai de toutes les substances que j’avais dans ma pharmacie, à en perdre la tête, dans le plus horrifique des cocktails : Paxificate, Ankillirium, Soufflerise à la cerise, Amourescence, iXcitiel35, Ôxidaxcism, Fraktal++,… Je m’endormis dans les pleurs, écrasé par la peur, couru par les diableries de la culpabilité.
Le lendemain, je me réveillai avec un mal de crâne terrible. J’avais des égratignures sur tout le corps, en particulier sur mon bras droit. Sûrement dues à ma rage psychédélique d’hier soir. Le ventre vide, je quittai mon appartement. J’eus de nouveau sous la pluie cette sensation d’être aussi nu qu’un nouveau-né, d’être battu par de la glace drue. Pressant le pas, j’arrivai au repaire des saufsurvoyants. La pièce était déserte. Rien. Ni personne. Je me déplaçai quelque peu. J’allais partir, quand tout à coup, j’entendis quelqu’un tousser. Je n’en revenais pas. Rien n’indiquait ici une présence humaine, et pourtant mes oreilles ne me trompaient pas : le toussotement recommença. Je criai : « Saufsurvoyants ! Ici Aksel, Key-Secure-Ô-Log et Key-Avatariste, ex-agent du Key-Déli-Ô-Scope. Je suis venu vous annoncer que je renonçai à ma vie augmentée. Je n’ai sur moi, ni mes ôSes, ni mes daily-S, ni mes lentilles keyscopiennes ». Silence. « Montrez-vous ! Je viens ici en ami, je… Je suis venu vous faire mes excuses. J’ai changé d’avis. Je vais vous aider ! ».
« Putain d’Ô-plugué de merde… » j’entendis. C’était la voix de Cyriaque. J’aurais mis ma main à couper. Les lasers s’activèrent, et remplirent bientôt la pièce, aveuglants. Une lumière cinglante de couleur violette m’inspecta de bas en haut. « Ci’okâ, l’gars n’è-ti zéro Ô-pareil onime ». Ce que je vis ensuite me coupa le souffle : telle une vague déferlante, une horde d’individus en combinaison bleue se matérialisa sous mes yeux. Cid s’approcha de moi et me dit : « Ecoute, si tu nous trahis une seconde fois, je peux te jurer que tu te feras exclure de ton alvéole, et que tu seras traqué par tes anciens copains, alors tu n’as pas intérêt à faire le con. Maintenant, viens avec moi. ». Il me tendit une combinaison, que je mis, et m’ordonna d’entrer dans la petite pièce carrée. « On va aller voir Yannos. Il t’expliquera comment faire ton travail. Mais avant cela, tu dois être au courant de certaines choses… Il y a… ». Je le coupai : « Qu’est-ce que vous m’avez fait la dernière fois ? Qu’est-ce que c’était, cet… essaim transparent ? ». Il se rembrunit, puis lâcha : « Des Nuées d’Oiseaux ». « Des …quoi ? ». « Des Nuées d’Oiseaux. Ce sont des nano-drones que le Renseignement utilisent pour nous espionner. Tu n’en as jamais entendu parlé ? ». Je répondis à la négative. « Imagine des V au format nanométriques, des sortes de capteurs autonomes qui communiquent par liaison fluide, et qui envoient des flopées d’informations aux enquêteurs du Renseignement. Les données sont récoltées à l’aide de petites caméras et de micros, qu’ils nichent dans le creux des V. D’ailleurs, ce ne sont pas les seules choses qu’ils peuvent cacher, dans les V, mais bon… ». « Les lasers… ». « Oui, les lasers permettent de les détecter ». « Mais comment c’est possible, s’ils évoluent à un niveau nanométrique ? », demandai-je. « Nous avons dû développer des technologies pour le moins… étonnantes, afin de survivre ». Je restai coi. Je n’avais jamais entendu parler des Nuées d’Oiseaux. « Et l’invisibilité ? Comment faites-vous ? ». « Je te trouve bien curieux, Aksel. D’autant que nous ne sommes pas sûrs de ton positionnement… ». « Je comprends, vous ne pouvez pas tout me dire. Je me tais. ». Nous restâmes silencieux un moment. Dans la pièce d’à-côté, les Clâc ! Clâc ! Clâc ! avaient recommencé. « Ecoute Aksel, si tu veux devenir un saufsurvoyant, tu vas devoir passer quelques tests. Et pour cela, il faut que tu viennes avec moi dans un autre endroit. Je vais te bander les yeux. D’accord ? ». « D’accord ».
– Comment a-t-il pu te faire encore confiance, après ce que tu as fait ?
– Il avait besoin de moi. Quoiqu’il en soit, je me laissai bander les yeux. Je sentis quelque chose se déposer sur ma combinaison, comme un châle. Puis le sas d’entrée se referma sur nous. Après ce qui me sembla une éternité, nous entrâmes dans un nouvel endroit. Il ouvrit ma visière et retira le bandeau. Les mêmes lasers criblaient au peigne fin l’endroit où nous nous trouvions. Les gens qui se trouvaient là étaient occupés autour de tables. Certains individus étaient reliés par la bouche et les oreilles, à l’aide de tubes noirs. Cid me présenta à un type relativement grand, aux cheveux châtains clairs. « Voici Yannos. C’est lui qui va te faire passer les tests ». Je m’installai à une table avec ce dernier, qui m’inspecta sous tous les angles à l’aide d’appareils étranges. Après quoi, il me posa toute une série de questions toutes aussi étranges, allant de mon rhésus, de mes caractéristiques psychologiques à mes goûts alimentaires. Il conclut par une phrase énigmatique : « Carbone. Il est carbone. Comme Diane. C’est pas possible… c’est pas possible… Carbone ! ». Il répéta à Cid le résultat de son test. Estomaqué, Cid rétorqua : « Casse qu’asse va phirium ? La’zéro diama ». Yannos répondit : « Oui, on en a un. Mais il est occupé. On va devoir coupler ». Cid s’excita subitement : « On peut pas le coupler ! On est pas sûr de lui ! ». Puis il s’adressa à moi : « Mon gars, si tu nous fais un faux plan, on va… ». Je le coupai : « Je ne vais pas vous trahir. Avec ce que vous m’avez dit… je ne peux pas retourner en arrière ». « Yannos, va chercher Ezil. Mais putain, c’est l’histoire qui se répète, ce gars, le même diffuseur que Diane, non mais vraiment ! ». Etonné, je demandai : « Un diffuseur ? C’est quoi un diffuseur ? Et c’est qui, Diane ? ». « Tais-toi, et viens avec moi ». Puis il se retourna : « Ton diffuseur, c’est ce qui va sauver ta peau ».