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Le Key-Déli-Ô-Scope [Français]

Yannos ne tarda pas à apparaître dans notre champ de vision. Ezil tapa sur son épaule : « Yannos, ites lèten dè monstrate à Aksel lè butedeux samize zion. ». Yannos me demanda de mettre un tube anthracite à mon oreille, et de le relier jusqu’à ma bouche : « Nous devons faire très attention. Les Gobeurs et les lasers sont opérationnels, mais la discrétion est de mise. En somme, nous te demandons deux choses : la première consiste à créer pour nous un avatar, afin que nous puissions nous connecter au Key-Déli-Ô-Scope de façon discrète. Le but est de contacter de nouvelles potentielles recrues. Nous nous affaiblissons : beaucoup d’entre nous sont malades, ou mal nourris. Notre organisation est mourante. Le mouvement saufsurvoyant doit se perpétuer, c’est pourquoi nous devons former la relève, et vite. Nous arrivons à nous connecter au Key-Déli-Ô-Scope en nous projetant sur les surfaces réfléchissantes (le verre, l’eau, etc.). C’est ainsi que nous t’avons contacté. Mais il nous faut pour cela un avatar. Celui que nous avons est de très mauvaise définition, et sa forme humanoïde fait peur plus qu’elle n’attise la sympathie. Il faudrait que tu nous concoctes un avatar attrayant, qui nous représente. Ensuite, nous avons besoin que tu te plonges au coeur du Scrutatorium, afin de trouver des informations importantes sur la gouvernance transnationale extropienne. Toute donnée sur le Tecô-Régi-Stère nous intéresse. Te sens-tu capable de remplir une telle mission ? ». Je répondis à l’affirmative, bien que dans mon ventre je sentis une crispation. Se rendre dans le Scrutatorium… J’en avais froid dans le dos. Yannos m’expliqua comment me connecter sur l’Ô-Key en mode imperceptible. Il me donna deux gants, qui remplaçaient les daily-S, ainsi qu’un visiocasque, pour voir dans l’Ô-Key. Après quelques manipulations, je me retrouvai sur la plateforme immersive du Key-Déli-Ô-Scope : je reconnus instantanément son ciel bleu électrique et son sol orange fluo. Je décidai de me rendre dans une zone de création libre, au sein de laquelle j’allais pouvoir modéliser l’avatar de façon discrète. L’esprit peu tranquille, j’arrivai dans la zone décidée. D’un geste, je générai une cabane jaune canari, qui jaillit tout autour de moi. Je me mis à sculpter la matière élastique de l’Ô-Key. Lorsque j’eus terminé, je fus content de moi : mon avatar était une figure féminine, les cheveux bleus coupés au carré avec une frange. Il était vêtu d’une robe courte, bleu azur. Je me déconnectai du Key-Déli-Ô-Scope et interrogeai Yannos, qui me gratifia d’un sourire et d’un remerciement.

Restait l’étape la plus cruciale : m’introduire dans le Scrutatorium. Le Scrutatorium, tu vois, c’est ce qui aspire toutes les informations brutes du Key-Déli-Ô-Scope, ainsi que les Ô-Profils et autres traitements de données que nous, Key-Secure-Ô-Log, élaborions. C’est une zone hautement surveillée, dans laquelle ne pouvaient pénétrer que les personnes munies d’un pass. Les Key-Secure-Ô-Log au bas de la hiérarchie, comme je l’étais, ne pouvaient avoir accès aux informations qu’au travers de programmes, qui sélectionnaient pour nous ce dont nous avions besoin. J’étais loin de me sentir rassuré. Si j’étais repéré par les Key-Secure-Ô-Log, je risquais la prison à vie, ou que sais-je, le chantage, la torture. Je pris une grande inspiration et me connectai. J’entrai dans le Nid Alvéolaire. Je frissonnai en voyant cette agglutination d’alvéoles grises, au sein desquelles travaillent les Key-Secure-Ô-Log. Lorsque je me trouvai devant le portail du Scrutatorium, immense tour organique aux teintes rougeoyantes, j’eus un moment d’indécision. Puis je m’avançai. Je passai le portail sans problème, et me trouvai projeté dans un espace sans gravité. Je flottai littéralement dans un espace bordeaux : c’était comme si j’étais entré dans un corps gigantesque, monstrueux.

Les parois du Scrutatorium étaient composées d’un nombre incommensurable de petites poches organiques. Il suffisait de dire à voix haute un mot-clef pour que les poches correspondantes se déroulent et libèrent du contenu. Je me lançai. Premier mot-clef : « gouvernance transnationale extropienne ». Aucun résultat. « Key-Déli-Ô-Scope et surveillance ». Cinq poches devinrent rouges et s’entre-ouvrir. Je n’osais pas les consulter, tant j’avais cette insidieuse impression d’être sous haute surveillance. J’avais la sensation terrifiante d’avoir un œil au-dessus de ma nuque, qui me scrutait de part en part, analysant chacun de mes mouvements. Mon expérience avec la sonde ne m’avait pas laissé indemne. C’était comme si mes pensées mêmes pouvaient à tout moment être traversées par la puissance du Scrutatorium. Je ressentais comme des flux vampiriques qui venaient s’enrouler autour de mon coeur, pompant, pompant, jusqu’à le vider de sa substance. Tenu par une angoisse lancinante, je saisis de mes doigts l’une des fibres sorties des poches et me mis à l’égrainer. Ce n’était pas de la lecture, c’était autre chose : comme si le sens même incrusté dans la fibre venait à prendre forme dans mon esprit.

Ce que je compris me laissa pantois. Il s’avérait que… les lentilles keyscopiennes étaient en réalité des caméras. Les agents du Tecô-Déli-Kptère pouvaient voir au travers des yeux des Ô-plugués. Les ôSes buccales enregistraient toutes les conversations, y compris celles qui avaient lieu hors de l’Ô-Key. Je pris entre les doigts une autre fibre, que je caressais afin d’en extraire le sens. Tiens… Le Key-Déli-Ô-Scope allait bientôt updater son appareillage. Les ôSes sonores seraient remplacés par des implants cochléaires et buccaux, les lentilles par des puces greffées sur le nerf optique et les daily-S par des implants cérébraux. A l’avenir, les Ô-plugués se déplaceront dans les différentes zones de l’Ô-Key… par la pensée. J’y appris que ce nouvel appareillage permettrait d’envoyer des suggestions directement dans la masse neuronale, de façon à influencer les utilisateurs dans leurs achats ou votations. Les publicités allaient sécréter des substances addictives. Je compris que cette update allait occasionner un changement dans les méthodes d’espionnage : le Tecô-Déli-Kptère pourrait ainsi épier les Ô-plugués jusque dans leurs pensées. Vague de panique. Je continuai mon investigation. Ma voix tonna, grave : « Industrie chimique ». Une seule poche se télescopa jusqu’à ma portée. Intrigué, je saisis la fibre rougeoyante. Sueurs froides. Un nouveau programme va être mis en place. D’ici dix ans. Les nanoparticules implémentées dans la nourriture seront remplacées par des nanocapsules. La gouvernance transnationale extropienne a donné le feu vert à l’industrie chimique, pour que celle-ci place des substances de leur crû dans ces capsules invisibles à l’oeil nu. Les mêmes substances qui sont actuellement testées sur les saufsurvoyants. Sauf que la population n’aura pas de diffuseurs ! L’objectif est double : non seulement ces produits chimiques vont résoudre le problème de la surpopulation, en écrémant la société d’un certain nombre d’individus, mais ils vont générer de gros bénéfices, qui seront récoltés par l’industrie pharmaceutique : la population dans son entier va développer des maladies, et sera contrainte de se procurer des médicaments pour survivre. Les bénéfices de l’industrie pharmaceutique seront reversés à l’industrie chimique et au secteur sécuritaire, en circuit fermé. Ils pourront ainsi financer le développement de nouveaux agents chimiques et autres appareillages de surveillance. Tremblement. Contamination. Massacre de masse. Rentabilité. C’est un génocide, un génocide… d’un nouveau genre ! J’allais ouvrir une nouvelle poche, quand j’entendis retenir une alarme. Je me déconnectai.

Lorsque je revins à moi, la salle était vide. Il n’y avait plus personne. Yannos et Ezil avaient disparu. Plus aucun laser. Plus personne. Je criai, les larmes aux yeux. Rien. Ne sachant que faire, je sortis de la pièce. Je marchai sous la pluie, en proie à un grand désarroi. « Oh non… ». Devant moi. Cinq humanoïdes. Des agents koptères. Qui se mouvaient dans des armatures de fer. Des exosquelettes. Trois drones tournèrent autour de moi, m’inspectant de pied en cap. L’un des hommes cria : « Aksel, Key-Secure-Ô-Log, alvéole B451, Key-Avatariste indépendant. Vous êtes en état d’arrestation ». Il continua d’une voix monocorde : « Venez avec nous. Ne montrez aucune résistance. Le moindre de vos gestes et paroles sera enregistré et pourra être retenu contre vous. Coopérez, ou nous devrons utiliser la force ». L’un des hommes fit rouler son exosquelette jusqu’à moi, et me piqua à l’aide d’une seringue. Brouillard. Noir complet.

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