Je tourne la tête. C’est trop dur, mes souvenirs d’enfant défilent à toute allure.<br ?–> Je décide de fermer les yeux.
Mais l’œil, avant de parvenir à se clore, est attiré.
Que vois-je à présent ? Une roue de rouge lumière ? Je m’avance.
Le choc. Je m’entre-aperçois à travers le miroitement intérieur de la roue, mais… ma tête a disparu. Trouée, sifflée. Rayée de la carte. J’ai beau bouger mes mains, mes pieds.
Je suis décapité. La mort approche. La Grand-Roue. Cette impression d’être jeté dans le vide, sans être certain d’être bien arrimé, sans jamais savoir si le prochain tour ne sera pas le dernier. Papa me disait d’être courageux. Mais je l’étais. Même si je pleurais, à la fin. Le grand saut dans le néant, chaque jour remis à demain. Je crois que je ne prends plus vraiment de risques depuis quelques années. Pas comme quand j’étais enfant ! Là, je sautais de rive en rive, écrasant au passage les têtards et les escargots.
J’allais même dans les trains-fantômes, cela même s’il fallait avoir au moins 6 ans pour franchir la porte. Les spectres jouaient avec mes poils, les faisant dresser, comme des tigres avec des cercles de feu. Que reste-t-il donc de mon audace ? N’ai-je pas développé une aversion au risque tel que… les rives s’éloignent, encore et encore ? Comment les franchir, si un océan les sépare ?
D’un mouvement hoquetant, je m’éloigne de cette roue-brasier qui illumine ma prunelle, qui me fait basculer par procès mental vers des souvenirs éloignés. L’eau du bassin aux reflets cyan semble soudain changer de couleur, se teinter d’un orange-rose vapeur chatoyant, me capturant jusqu’aux tréfonds de la piscine, non sans hébétement. Vers quelles dimensions extra-sensorielles me portent ces pièces, minutieusement collectionnées par un œil attentif et perçant ? Je me déplace de façon latérale, sans avoir ne serait-ce que l’ombre d’une idée de ce qui m’attend encore.
Je traverse une paroi de verre. Instantanément, la foudre s’abat. Deux revolvers pointés Sud se dressent devant mon corps courbé. Le temps s’arrête. Mes mains tremblent. Le rosé de l’un contraste fort avec le charbonneux de l’autre : je veux dire, ces pistolets résonnent en chromatique par procès différentiel.
La stupeur provient d’une appréciation perceptive complexe. Lorsque je meus ma tête, de gauche à droite, cette dernière se retrouve projetée du premier pistolet au second. Ces armes n’ont pourtant pas une connotation de violence. Leur devenir-guerrier s’en tient au monde de l’enfance, où les pistolets volants tirent vers les bas pour se maintenir en suspension.
Le tir comme moyen de ne pas s’appesantir : quelle intrigue pour l’esprit choqué qui est le mien ? Ces revolvers ne ciblent aucunement ma personne, mais pourtant m’attaquent dans ma chair : je saisis, lors d’un murmure de pensée, que j’ai abandonné ma flottaison rêveuse au bénéfice d’une pesanteur lourde et dense. Être enchaîné au sol, sans objectif à long-terme différant de mes velléités professionnelles, m’apparaît à présent du calibre d’un enfermement sur terre carcérale. Ces pistolets insultent ma position laxiste en capital-rêve, mais pourtant nourrissent d’incommensurable mes dispositions cérébrales-émotives, à présent ouvertes par un cochon de malice et une roue de splendeur. La remise en question est d’ampleur, du calibre d’un éclat de menottes et d’une évasion qui n’a rien de fiscale, une évasion vers des landes miroitantes ornées de lampions chéris.
Si j’avais un de ces immenses pistolets en main, que ferai-je seulement ? Attenterai-je aux énergies de vie d’un être altère ? Non, je ne le suppose même pas tant. Souffrirai-je d’une morbide pulsion, me poussant à chercher ma tempe sans pourtant appuyer sur la gâchette ? Non, je ne le crois. Je sens plutôt que si l’un de ces revolvers tenait dans ma main, je percerais un trou dans l’espace d’un immatériel voile, ouvrirai une brèche vers un ailleurs dans lequel je pourrais plonger à cœur perdu, sans attaches.
Je pénétrerais alors dans une zone diaphane et pourtant multicolore, bariolée au rythme des coups de feu d’un stand de tir. Quelle peluche le forain m’octroierait, si je parvenais à briser le réel en tant d’éclats que je deviendrais moi-même un être miraculé, attrapeur de rêve, chasseur éperdu et chercheur de paillettes d’or ? Quel jouet placerait-il dans ma main, en guise de récompense, glorifiant ma victoire, celle d’être passé d’être-de-grisaille, affairé à tisser une toile de stratégies commerciales, à un humain transmuté par le passage d’un seuil non-moindre, celui qui donne accès à un imaginaire sans borne ?