Je suspecte que le forain, dont le couvre-chef ressemblerait à une nidation complexe de jouets entremêlés, aux allures d’excentrisme, ne me tendrait rien d’autre qu’un petit pistolet, ni rose, ni noir, mais bel et bien vif-argent, comme une arme-miroir en devenir-translucide, et dont les munitions ne seraient que de ouate. Ce jouet miniature aurait le mérite de m’aider à cibler ce que je désire réellement de la vie. Le target-machine dans lequel m’entraîne ce micro-revolver m’agence et m’aligne avec mes puissances intérieures. Je dois faire un choix, celui de la nouvelle vie dans laquelle je désire plonger, sans dérive possible et sans intéressement professionnel. Que puis-je bien invoquer pour transmutationner mon existant quotidien ? Dans quelle spirale cornélienne me trouve-je, confronté à ces pistolets spéculaires ? Que veux-je, en vérité ? Comment faire corroborer mes rêves les plus enfouis, les plus laminés, les plus écrabouillés sous une chape d’acier noirâtre, avec ma situation actuelle ? Ne dois-je pas revenir à mon essentiel le plus secret, et m’interroger sur les nœuds serrés qui me coupent le souffle de vivre ?
Une cisaille magique ne serait pas de trop, pour taillader dans la matière-ficelle qui devient ronce pour ma gorge. Décidément, ces pistolets maudits ont le bénéfice de me poser des questions qui me permettent d’entrevoir une issue à mon malheur. Ils ont proprement tué mon ancien personnage, proprement achevé l’homme d’affaires acariâtre et redoutable qui logeait en moi. Je veux devenir un enfant-joueur, redevenir cet être en éveil, capable de voir dans un jouet très simple le reflet de son existence. Je veux voir la lumière de mes petits matins avec la curiosité d’un jeune humain en croissance perpétuelle, qui tarde même à marcher complètement debout. La chute libre qui me saisit me rend boiteux sur l’instant, mais je pressens déjà que les effluves familières de mon enfance perdue ne sont pas condamnées à rester ancrées dans une mémoire inutilisée, scellée par un cachet de cire anthracite. Non, je sens arriver à toute allure les souvenirs cocasses de mes premières rencontres avec le sol, lorsque j’essaie pas à pas, d’arriver vers ma caisse à jouets, dans l’espoir de trouver une arme d’innocence pour alimenter mon imaginaire en effervescence.
Apaisé par quelques bribes de souvenirs, qui chuchotant, m’informent que ma vie n’est pas vouée à disparaître dans l’océan de mes contraintes et frustrations, j’opère une rotation de quelques degrés.
Qu’est-ce qui s’indice en premier ? Quelles fugaces impressions viennent se contre-coller sur le miroir opaque de ma rétine ? Je sursaute. Non pas un, mais deux… cochons réfractionnaires. Non que ceux-ci soient réfractaires, mais plutôt qu’ils rayonnent en reflet jusqu’à mes yeux, me permettant de percevoir mon visage crispé grisé par deux soleils d’espérance.
Le premier petit cochon, aussi jaune qu’un canari prolixe et chantonnant, me nargue comme son père. Persifleur cochon, que vas-tu encore faire à mon esprit meurtri ? Le second petit cochon, plus rose qu’une rose mûre de sagesse, me rassure d’un sourire en coin. Oui, tu as raison ô pink pink petit cochon, j’ai bien appris de ton géniteur et de la roue de vermeil ; j’ai surfé sur la vague de mes peurs, éprouvé mon courage, dénaturé mon aversion au risque, sauté en grand écart vers mes rêves cachetés dans des catacombes où même les morts ne vont pas.