Oui, oui, oui, ton frère a raison de siffler à ma honte, mais toi tu es bien aimable, car tu me montres la teneur de mon évolutivité. Je ne suis plus le même, depuis que la vapeur de cette chambre à miracles s’accumule sur ma peau, alimentant mon imaginaire de multiples occurrences troubles.
Non, non, non, je ne suis plus le même depuis que le Pigasus m’a déposé d’un coup d’ailes sur une Grand-Roue d’écarlate, depuis qu’il m’a incité à tirer au stand pour recevoir mon prix, qui n’est autre qu’un espoir de me reconnecter à moi-même. Il m’exhorte à tirer le suc du magma de mon inconscient, ignoré par procès de paresse et de désenchantement successifs, à faire émerger un air neuf et vivifiant pour mon âme, appauvrie par mon désespoir et ma peine d’exister si peu.
Je me retourne, et me trouve soudainement aspiré par un orage. Que se passe-t-il ? Ma tête se renverse, mes pieds sont en l’air. Je perds totalement le sens des perspectives. Tout se chamboule en moi, c’est renversant au point de faire poindre des larmes sur les bijoux de mes yeux.
Trois fois un nuage surgissent de la vapeur qui habille mon corps étriqué. Tricot d’eau dispersé, tu m’embrumes si promptement que j’en perds la confiance fondamentale que j’alloue à mes sens.
Que vois-je, en vérité, lorsque je me regarde dans le miroir d’une tempête ornée d’éclairs fugaces ?
La force déformatrice est telle que, lorsque je m’immerge dans les gouttelettes du nuage d’argent, je vois, démesurée, mon cockpit de cerveau agrandi au point de manger mon corps, réduit à l’état de miniature.
Je m’avance d’un pas, puis de deux. Mes yeux prennent de l’ampleur ; tout ce qui n’est pas œil devient alors distordu et si-si petit, ne laissant trôner sur le siège de ma vision qu’une incommensurable prunelle.
Je plonge au creux de mon œil, sans même ciller. Le nuage s’est fait écran, réfractant ma propre vision en double courroie : auto-référentialité. Clac ! Quelque chose en moi craque et s’étire dans toutes les directions. C’est une douleur-extase très rapide, durant à peine l’ombre d’une milliseconde. Néanmoins, je sais à présent une vérité : quelque chose en moi se soigne. Le nuage est écran, mais le nuage est salvateur. Ses particules aquatiques rafraîchissent toutes les alcôves de la cathédrale de mon esprit, – rendu grand, l’espace d’un instant -. Je me vois. Je me vois au-delà des carapaces. Instant précieux. Tout ce qui n’était que construction passagère et normée a tout simplement éclaté. Le plus étrange est que pour la première fois de ma vie, je me sens bien lorsque je me regarde, sans tout mon attirail de guerre, mes parures et mes artifices édulcorés. Cette subtile différence fait absolument toute la différence. Je crois que le nuage m’a murmuré son secret : la présence omnidirectionnelle, force continue en dentelle couleur fractale, multidimensionnelle et a-mesurable. Soudainement, je perds la fraction d’idée qui venait de jaillir. Oh non, j’aurais dû la rattraper, c’était une idée essentielle, me semble-t-il… Je détourne les yeux de ce nuage, tout surplombant qu’il est de son anthracite, pour diriger ma vision vers un autre nuage, subalterne, aux accents de métal bleuté. Je redoute cette impression d’être en train de perdre la clarté qui venait de m’absorber quelques secondes auparavant. Mon estomac se resserre et gonfle mon cœur de tristesse, comme si un marais venait de m’aspirer de ses lacs mouvants. Ô gluance et sécheresse, vous cohabitez ? Comment se fait-il ? Vers quoi suis-je aspiré ? Je comprends néanmoins, transformé par la révélation lucide qui s’était sussurée à mon oreille, que je devais en réalité affronter mes peines les plus abyssales et les plus retenues, enfouies dans des caveaux bien gardés mille lieux sous terre. Conscient d’être face à une épreuve, je ravale ma salive en glissant une larme. Ma détermination me conduit à saisir que mes plus grandes tristesses étaient en fait les plus anodines. Et c’est précisément parce qu’elles sont anodines qu’elles peuvent être répétées, démultipliées à foison, jusqu’à étouffer le quotidien. Mes peines malignes se griment de façon à paraître bégnines, d’où le fait que je les accepte sans résistance. Mais je porte un lot d’ordures et de brico-objets, d’enclumes et de pièces détachées en tout genre, sur mes épaules fatiguées, depuis trop longtemps. Je rafistole le tout à coup de résignation, et empackage mon stock de lourdeur dans le portail de mon thorax. Je m’y habitue, tout simplement. Ne devrais-je pas tout jeter, et voyager léger, comme dans le sauvage d’une campagne où je courrais à la chasse aux papillons ? Que faire de mes remords ? Que faire de mes déceptions ? Les éloigner, les couper en morceaux, les disséquer, les lire et les démanteler encore ? Pourquoi ne pas tout désassembler, faire de l’ordre comme si avril était déjà là, comprendre les racines de mes maux, et ré-agencer les éléments pour me tracer une route sur laquelle mon esprit et mon pied peuvent ricocher ? Respirer, encore une fois, un peu de vapeur de nuage… Soigner la désespérance par de la présence à soi, qui commence par un soupir et qui s’étend vers une nouvelle forme de soulagement, une forme protéiforme et oxygénante de quiétude. Je respire. Encore. Encore. Je respire. Encore une fois.