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Pierre Violet

Je suis mon propre gouverneur, je ne règne plus que mes populations internes. Je suis le Roi de mon propre monde, et ne suis plus qu’un simple citoyen de l’Univers. Renversement de perspective. Charge indicielle, décharge entre aimants contigus. Le Sud n’est plus Sud, mais n’est pas encore Nord. La Terre roule sur elle-même. Cette rotation me ramène à moi-même, et me fait prendre conscience d’une grande chose : dans mon trou béant, il y a à présent une Terre qui tournebille, avec son auxiliaire lunaire, qui veille à ce que tout flue et reflue sans heurts.
Je ne veux plus exercer ma puissance sur autrui. A présent, je veux me nourrir de considérable et d’authentique, de fraîcheur de vapeur-nuage, sur fond de rire tintant de trois cochons ailés, dégainant sans vergogne des pistolets pour tirer en trombe sur une roue-cible aux mouvements rotatoires aléatoires. Tout se complémente, je circule à présent avec aisance dans les enseignements que ces objets m’ont conféré.

Je me retire du triptyque et me retrouve face à quatre formes, qui se détachent du mur de par leurs couleurs diverses. Mon sang pulse fort. Je me sens au bord d’une crise cardiaque. Bam ! Bam ! Bam ! Fait mon cœur dans mon poitrail fatigué par toutes les émotions qui sont venues me chahuter.
Quatre. Quatre cœurs. L’un demi-rouge, les autres demi-roses, demi-cyans, demi-verdoyants.
Soudain, mon cœur s’arrête. Je bascule ma tête vers le haut, les yeux grand ouverts.

Le temps est suspendu. Une fois encore, je reviens à moi.

Quel délice ! Mais cette fois précise, alors que mon regard tombe sur le premier cœur, rougeoyant, je me sens emporté par une puissance qui me ferait soulever des milliards de tonnes d’un seul auriculaire. Je me sens déborder d’amour pour la vie. Je comprends que l’infini est un noyau ardent, décentralisé, distribué sur nombre d’étoiles, aux écosystèmes complexes et indénombrables. Je comprends le mystère de mon existence, sans pouvoir néanmoins le reproduire discursivement.

Je fais un pas à droite, et m’immerge dans l’univers du deuxième cœur, rosacé clair vibrant. L’amour qui m’envahit alors me rappelle tantôt la douleur de mes ruptures, tantôt les joies incommensurables que m’ont évoqué les femmes que j’ai aimées. Je me rappelle le clapotis de ma fontaine de coupe, débordante pour une entité altère, toute habillée qu’elle est de toiles et de tissus-jupons d’altiérité. Je me rappelle avoir aimé ces quelques femmes au point de braver mes propres limites, voire les leurs. Je me rappelle avoir tremblé d’effroi, lorsque la simple idée de les perdre m’a effleuré. Toutes ne seront pas retenues par mon cœur, mais certaines m’ont transformé, littéralement. Je salue votre âme avec déférence, vous, les femmes de ma vie, qui avez su lire mon esprit avec tant de justesse. Je me redresse et me sens bondir de joie. J’ai eu de la chance en amour, et dois à présent m’en réjouir. Moi qui avais plutôt tendance à m’affaisser sur mes échecs amoureux, sur mes frustrations ou mes désirs manqués.

Je me rappelle aussi mon amour pour le fruit de ces amours, mes enfants. Des enfants si adorables… Le simple souvenir de leurs premiers jeux m’émeut, lorsque j’y repense. Je regrette maintenant de ne pas avoir été assez dans mon devenir-enfant avec mes enfants. J’aurais dû accepter de coller des bouts de ficelles avec des petits bouts d’argile, au lieu de les planter devant un écran addictif et trompeur. Je regrette d’avoir trop travaillé, aussi, laissant résonner un silence dans le vaste appartement blanc qui était le nôtre alors.

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