Je continue ma route, et passe au cœur suivant. Le flash est instantané.
Je pense à mes amis chers. A mes collaborateurs de génie qui m’ont toujours filé un coup de main avec grande classe quand je pensais à eux pour m’aider.
Je pense à la loyauté qui fut la leur, lors des moments de trouble ou de détresse. Je me remémore mes camarades de classe, ceux qui faisaient des conneries avec moi dans la cour, lors de la récré. Je me rappelle les adolescents ravageurs que nous formions plus tard, à l’heure où les boutons se comptaient plus que les moments où nous étudions vraiment. L’insouciance qui nous protégeait nous a relié de cordes solides, qui ont perduré avec le temps. Oui, j’aime mes amis. Mes amis-rocs qui ne se défaussent pas et qui renchérissent avec honnêteté lorsque l’on leur soumet des idées à risque.
Ces mêmes amis avec lesquels on rit et on boit, lorsque la fête est balancée au rythme de percussions exotiques, ou proprement occidentales. Mes amis me manquent, je m’en rends compte à présent.
Je ne les contacte pas assez, je m’emmure dans mon ivoire de glace et renonce à la fluidité qui jaillit si bien lors de nos rencontres. C’est décidé, ce soir je recontacterai mes amis, et organiserait une fête en ovation aux puissances multidimensionnelles qui m’ont traversé en ce jour.
Je passe au cœur verdoyant, qui me chuchote à peine regardé, qu’il concerne un amour particulier.
J’ai pensé à tout le monde, qui puis-je encore aimer ? Quelle bêtise ! J’y pense à l’instant : je me suis oublié. Dans l’équation complexe de l’amour, je me suis tout simplement oublié. Comment cela se fait-il ? Moi qui étais si puissant, si fier de mon empire et de mon labeur ? Comment ai-je pu oublier une occurrence si indispensable ? Je comprends subitement qu’en vérité, je n’ai jamais osé, avant ce jour, m’observer réellement. Comment aimer quelque chose qu’on ne regarde pas ?
Aujourd’hui j’ai franchi le seuil d’une nouvelle ère dans mon existence : j’ai accepté scruter les bas-fonds de mon esprit. J’ai traversé, par la médiation de ces objets aux couleurs vives, mes prairies et mes crevasses. J’ai chevauché les forces du renouveau en acceptant de me regarder en face.
Je crois, compte tenu de cet aspect, qu’en vérité, je suis à présent capable de débloquer mon cœur pour apprendre à m’aimer. Quelque chose s’est dérouillé, je le sens : je suis capable de gonfler d’eau tout mon être. Eau vivifiante qui transmute mes charbons-noyaux, source de trouble et de boucles infinies, dans des ramifications complexes mais très étouffantes.
Je suis re-né, et à présent j’apprends à me connaître sans me dénigrer ou m’enorgueillir.
Je viens en paix serrer la main du complice que je suis pour moi-même.
Je pressens que l’ambroisie n’est pas seulement nourriture des Dieux.
Elle se cultive dans un rapport étroit et cru avec soi-même.
Essoufflé mais apaisé, je m’écarte de ces quatre cœurs battants. Je me sens étourdi, comme si la foudre venait de piquer mes cheveux gris, comme si des trombes d’eau m’avaient subrepticement désincrusté de toutes les noirceurs qui prenaient la poussière dans mon manoir de coeur.
Je recule encore. Franchis la porte vitrée, respire l’air moite de l’espace-piscine, et m’en vais, déterminé à agencer ma vie de manière à ce qu’elle soit profuse et créatrice, joyeuse comme un enfant qui s’en va à une fête foraine, avec dans la main, un ballon aux accents de miroir. Le Pigasus plane dans le ciel. Et il n’est plus le seul.