Lorsqu’il ouvrit enfin les yeux, Drézil rapidement remarque son incapacité à se mouvoir. Il est cloué sur le mur, attaché par de multiples petites sangles, les bras et les jambes écartés. Le vieillard, s’il ne connaissait pas la Règle de Non-Violence des Civiliziaques, aurait eu peur d’être prestement torturé. Mais en vérité, il se demande ce que les Eshaeshi’s escomptent faire de sa personne. A sa grande surprise, il remarque que son Chapeau est en place, ainsi que son Sac-Sans-Fond. « Négligents sont ces personnes, n’ont-elles point pensé à m’ôter rapidement mes Objets ? ». Continuant à penser, il s’adresse une réflexion :
« Arf, quelle bêtise que mes mains soient incapacitées, j’aurais bien lancé mes Dés, et j’aurais mieux parlé à cette vieille pétasse. Je ne serais pas ainsi prisonnier ! ». Soudainement, il se rappelle que sa canne de fer n’est plus dans ses mains, et nulle part celle-ci ne semble être posée dans la pièce. Sueurs froides, glissant le long de son dos noueux. Sans cette dernière, jamais au plus grand jamais Drézil ne redeviendrait qui il était. « Il faut impérativement qu’on me la restitue ! D’autant que ceux-ci verront qu’il ne s’agit nullement d’un Objet ordinaire. »
– Tu as raison, dit le Chapeau. Tu dois retrouver ton bâton dans les délais les plus brefs. Tâche de te montrer courtois. Profère des excuses à la vieille, sinon jamais tu ne partiras.
Le vieil homme observe ce qui l’entoure. Quatre tissus aux motifs complexes sont dressés sur des barres, à l’exception du mur qui le retient prisonnier, qui semble être taillé dans une immense planche de bois. Les sangles qui retiennent ses membres serrent le corps de Drézil, empêchant son flux vital de s’écouler normalement, en lui-même. Il tente de se détacher, en se débattant avec vigueur.
C’est à ce précis moment qu’une silhouette soulève un pan de tissu et entre dans la pièce de fortune. Elle semble porter quelque chose dans les mains. A mieux y regarder, le vieillard constate qu’il s’agit d’un plateau, sur lequel se trouvent plusieurs flacons, ainsi que des petites coupoles. La femme qui se présente à ses yeux semble très jeune. Son crâne est presque intégralement rasé, à l’exception d’une touffe de cheveux noirs, qui jaillit de l’arrière de sa tête, tressée avec soin. Ses yeux couleur marron observent le sol ; jamais elle ne semble regarder l’étranger. Non, elle dispose ses coupoles autour du vieil homme, la tête baissée, fort concentrée par son œuvre. La jeune femme verse dans les coupoles quelques gouttes de chaque flacon, puis craque des allumettes, qu’elle jette en leur sein. Le liquide présent dans les coupoles devient vapeur, et embaume le carré de tissus d’une odeur de santal. D’une fulgurance que Drézil ne sut anticiper, le parfum enivre son esprit, laissant ses perceptions troublées au point qu’il voit soudainement tout ce qui l’entoure se dédoubler.
La jeune femme s’avance vers le vieillard, et lâche d’une voix monocorde :
– Héthranger, tha vhenuhe n’hest phoint shouhaitée. Ch’est phourhquoi tuh hes nothre phrisonnier.
– Mais aucun mal je n’ai fait, ni même sordide parole proféré !
– Thâche deh neh rhien dhire d’hauthre queh rhéphonshe hà mhes qheshtions, char jeh shuis ichi phour t’hinterrogher.
– Pourquoi faire venir une gamine, dans le cas précis ?
– Neh shoush-eshtime phoint mehs chaphachités, Héthranger.
Drézil voit se mouvoir un véritable kaléidoscope de yeux marrons le regarder.
La jeune femme entonne un chant, si étrange à ses oreilles, si crissant et si aigu que le vieillard eut envie de fermer les écoutilles de son ouïe. Mais comme l’étranger n’a aucunement les moyens d’exécuter son vouloir, il patiente le temps qu’elle mette fin à ses criaillarderies.
D’une voix toute aussi monocorde, elle continue :
– Héthranger… Queh vhiens-tuh phaire ci-phréshent dhans l’Hexaghonisme ?
– Je suis venu…
Le Chapeau le gronde :
– Evite de répondre, vieux tas d’os ! Loin de toi de savoir quelles sont les propriétés de ces flacons maudits !
– Jeh t’hen phrie, Héthranger, chontinue…
– … Je suis venu aider les Formes.
– Lhes Phormes hont-helles sheulement beshoin deh thon haide ?
– Si, fillette, tu le sais à merveille, et cela même mieux que moi. D’ici quelques proches bientôts, elles perdront leur vitale substance.
La jeune fille se tait, baisse la tête. Puis le regarde, à nouveau.
– Héthranger… Phourqhuoi vheux-tuh nhous haidher ? Leh vheux-tuh sheulhement ?
– Ne réponds pas, dit le Chapeau.
– Je… je…
– Héthranger, rhéphonds hà mah queshtion, jeh teh phrie.