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Civiliziaques

Le vieillard se concentre fort. La barque est de nouveau sèche et bel et bien opérationnelle. Néanmoins, après quelques minutes à peine, son attention est détournée par une forme qui semble sortir de l’eau de façon fugace, pour retourner dans les profondeurs. Son regard suit la forme, qui revient rapidement à la surface. On aurait pu dire que cette créature était dotée de multiples tentacules. Mais soudain, l’intégralité les tentacules se dressent devant l’homme. Il remarque que chaque tentacule porte une tête à son effigie ancienne, lorsqu’il était encore homme sombre. L’une de ces têtes se rapproche du vieillard, allant jusqu’à frôler son nez. Elle prend la parole, au travers d’un timbre que le vieil homme ne connaît que trop bien :
– Alors, Drézil, on est comme ça méchant ? On sait très bien ce que tu escomptes réaliser… On le sait. On le sait. On le sait. Par cœur.
Une autre tête s’avance et dit :
– Hein, Drézil, quel est ton petit chaos préféré ? Celui-là même que tu espères provoquer, bien caché dans le secret de ton cœur ? Ou l’autre ? Qui est probablement pire encore. Lequel choisis-tu ? Te laisseras-tu tenter par toi-même ?
Les têtes viennent une à une souffler à l’oreille du vieil homme :
– Crois-tu que ton subterfuge va parvenir à fin effective ?
– Comment oses-tu te croire tel que tu es, pauvre mécréant ? Nous te connaissons, et tu le sais mieux que nous. Nous te connaissons dans toute l’ampleur de ta nature funeste !
– Et si ta magie venait à s’estomper durant ta traversée ? Mieux, si le charme venait à se rompre à l’intérieur de l’Hexagonisme, même. Que penseront les autres, lorsqu’ils sauront ce que tu es, en vérité ?
– Tu vas finir en pâtée pour les requins. Regarde, d’ailleurs, ils renaissent de leurs chairs putréfiées, abandonnées aux profondeurs lacustres. Regarde, ils volent de nouveau autour de toi.
– Tes harpons ne servent à rien.
– Les paillettes sanguinolentes pleuvent à nouveau, regarde.
– Regarde !
– Oh oui, toutes ces bulles de peur que tu laisses sortir de ton coffrage de cœur.
– As-tu peur, mon petit Drézil ? As-tu seulement assez de courage pour t’écouter toi-même parler ?
– Car nous ne sommes autre que toi-même.
– Probablement plus toi-même que toi-même.
– Mais qui es-tu Drézil ?
– Que caches-tu derrière ton apparat ?
– Nous, nous le savons.
– Nous, nous le savons.
– Oui, nous le savons.
Les yeux hagards, le vieil homme hurle :
– Taisez-vous, foutaises de têtes ! Vous n’êtes pas moi, vous n’êtes autre que les effluves du Lac. Je vous désintègre par la pensée. Je retiens mes bulles de peurs, de par toute la puissance de mon esprit.
– Non, vieil homme, concentre-toi sur la barque, clame le Chapeau.
– Oui. Je me concentre sur la barque.
Les têtes continuent de le hanter, en se rapprochant toujours plus de lui, formant un cercle autour de son visage.
– Drézil !
– Drééééézil ! Ecoute-nous.
– Ecoute-toi. Intègre-nous. Nous sommes toi.
– Nooooooon. Je refuse. J’imagine que la barque flotte et navigue vers la forteresse. Je l’imagine de toutes mes forces, je vous réfute, vous n’existez pas.
Subitement, le silence s’impose. Les têtes ont éclaté comme des bulles de savon.
– Ton épreuve n’est pas finie, Drézil. Car c’est bel et bien ton nom, n’est-il pas ? C’est ainsi que ces illusions t’ont nommé, alors c’est de cette manière-ci que je te nommerai, si tu me confères permission.
– Oui Coiffe-alliée, je me nomme Drézil. Appelle-moi Drézil, car c’est véritablement mon nom.
– N’oublie pas de rester concentré. Tu arriveras à bon port à cette seule condition.

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