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Civiliziaques

Se relevant brusquement, il parsème une poudre orange dans le cercle le plus petit, et amorce une incantation. La poudre se liquéfie, puis forme un tourbillon violacé. Le vieil homme ouvre sa besace, et jette dans la tourmente un petit miroir. Ce dernier s’enfonce dans la masse en spirale. Une onde de choc vient soudainement lui fouetter le visage. Du tourbillon sort un cylindre blanc, doté d’un œil et de ce qui s’apparente à une bouche.
Le vieil homme lâche d’une voix gutturale :
– Ci-vient la Coiffe d’Auto-Réflexivité. Que sa parole et perçante vue ne m’égarent, et me mènent à parvenir.
Il saisit le cylindre blanc et le place sur sa tête. Immédiatement, le chapeau prend la parole :
– Vieil homme, ta mascarade n’est point satisfaisante. Les Civiliziaques ne te croiront guère si tu te pointes à leurs faces sans Objets autres. Engage la tourbille pour mieux paraître, en toge tu seras de loin mieux vêtu et sembleras des leurs, mieux.
– J’y pensais à l’instant-même. Troublante est ta rapidité de lecture-pensée, Coiffe Terrible. J’avais pour dessein de me vêtir selon les normes de ceux-là, c’est pourquoi j’avance ce bout de soie, que je jette dans la tourbille.
L’homme prend un morceau de tissu nacré, qu’il fit tomber dans la spirale violacée. Nouvelle onde de choc. Un habit blanc brillant flotte à sa surface. Avant de s’en vêtir, le vieil homme dit :
– Ci-vient la Toge du Bien-Paraître. Que ces monceaux de vêtements donnent Impression et permettent mon intégration, même dans les moments les plus âcres et les plus dangereux, lorsque de forteresse je serai dans l’Hexagonisme.
– Vieil homme, lorsque tu voudras qu’on prête attention à ton revêtement blanc, pour t’appréhender de la manière meilleure, brosse sa broche de la main droite.
L’homme remercie le Chapeau et l’interroge :
– Les Civiliziaques auront-ils l’oreille tendue à ma Coiffe ? Entendront-ils ton sifflement de voix, ou ceci restera-t-il mystère pour leurs esprits ?
– Point d’entente de leur part, le mystère de ma voix ne sera connu que de toi seul.
– Pourtant ta bouche s’ouvre et s’entrouvre.
– Seule chose qu’ils verront. Point d’entre eux n’entendront.
– Fort bien, continuons donc le processus, il est temps.
Le vieil homme jette dans la spirale de violet un nouvel objet, cette fois-ci une corde argentée munie de deux plumes blanches. L’onde de choc ne le surprend pas, mais ce qui apparaît cette fois le stupéfait. Une splendide harpe intégralement blanche jaillit de la spirale. Le vieil homme clame :
– Ci-vient la Harpe de la Mansuétude. Que cet Objet fasse germiner le calme sur mon passage, lorsque tensions surgiront face à ma voix. Que cette Harpe abaisse drastiquement les disputes au rang de paix. La clémence sera le résultat, quand bien même ai-je été la cause du trouble.
La Coiffe prend instantanément la parole :
– Vieil homme, cette harpe doit être sertie d’une Emeraude, pour Pouvoirs en supplément te conférer.
– Je tâcherai de m’en fournir une, quand bien même ne sais-je point quels Pouvoirs ma Harpe pourrait-elle ainsi se procurer…
– Vieil homme, suggestion de Coiffe : Coupe la parole lorsque cela est nécessité. C’est pourquoi le houx tu dois jeter.
L’homme sort de sa besace un morceau de houx, et s’exécute, en le lâchant dans la masse violette. Il finit par dire, une fois l’onde de choc passée :
– Ci-vient la Serpe de Non-Mot, laquelle saura rétablir le silence lorsque la cohue des dires viendra envenimer l’espace sonore de toute place.
– Tu fais bien, vieil homme, tu fais bien. Ai-je besoin de te suggérer encore ?
– Je connais mon appareillage nécessaire, dit-il, en plaçant dans la spirale une plume de paon minuscule, moins grande que son auriculaire.
Un sifflet sort de la masse violette, sifflet que le vieil homme saisit avec célérité.
– Ci-vient le Sifflet de Suggestion, lequel Objet aura pour bénéfice d’influencer mes tiers lorsque ceux-ci seront dans le marasme de l’hésitation. Son pouvoir est tel et si fugace, que leurs auditeurs ne se souviendront pas d’avoir entendu siffler cet Objet sonner à leur ouïe.
– Fort utile, cet Objet, car ainsi tu pourras faire ployer lorsque d’autres seront en nébuleuse. Fort est le vieil homme, ce dernier a bien pensé. Très bien pensé.
– Merci Chapeau Charmant, tu es bien gracieux en compliments, semble-t-il.
– Je suis le plus utile de tous tes Objets, car je pense en même temps que toi, accroché à ton flot maudit de réflexion, qui par ailleurs sont tantôt sournoises, tantôt perspicaces, tantôt proéminentes dans la justesse la plus grande. Pourtant, je ne suis toi, ni même un autre, tout est ici le noyau de l’affaire.
– Chapeau d’orgueil, tu sais te vanter de ton souffle.
– Je suis Coiffe d’Auto-Réflexivité, je suis les modulations de mon hôte, à la trace de son flot d’être.
– Traite-moi donc de vantard, je n’ai pas tes manières ! Cesse donc de parler, il reste trois Objets à convoquer.
Une branche toute courbée est lâchée dans le flot violacé. Suite au choc, apparaît un petit sachet jaune. Le vieil homme crache d’une voix forte :
– Ci-viennent les Baies de Confidence. Grâce à celles-ci, les secrets des palais qui les goûteront ne seront plus scellés, et feront parole vraie sans opposition moindre.
– Tu en as moins de cinq, fais-en bon usage, vieil homme.
N’écoutant guère sa Coiffe, l’homme jette un cube charbonneux dans la spirale, pour dire enfin :
– Ci-viennent les Dés d’Onyx, qui permettront à ma main de redessiner trois fois le fil des Possibles.
– Trois fois tu sauras changer le cours de l’Histoire, par fil à rebrousse refaire, sans trop n’y faire. Ne t’égare pas à les jeter trop hâtivement, car tu ne connais pas la fin de l’histoire, vieillard.
– Je tâcherai de faire sonner les Dés au moment juste, Chapeau-Malin.
Le vieil homme lâche dans les flots un dernier objet. Il s’agit cette fois-ci d’une pochette grenat.
L’onde de choc fait jaillir une sacoche de même couleur.
– Ci-vient le Sac-Sans-Fond, dit l’homme. Grâce à l’utilité de cet Objet, je saurai distordre les grandeurs et stocker de nombreux autres Objets dans sa panse goulue.
– Quelle récolte en perspective, Sir au grand nombre d’âges. Tu vas t’enrichir si tu sais troquer en les Formes.
– Nul n’est censé être sensé au point de déceler que je puis être en mesure d’en avoir en sur-nombre.
– Ne présente pas cet Objet, sinon on suspectera trop hâtivement ta richesse.
– Je le ferai, mais de manière déviée. Tu verras, Chapeau-Anxieux, on n’y prêtera nulle attention.
La Coiffe fit une pause, puis renchérit :
– Tu as donc abouti ton œuvre transformatrice. Tu as donc généré de multiples Objets, utiles en leurs heures. Il est temps de prendre route, vieillard, sinon tes os se solidifieront trop tôt.
– N’aie nulle peur pour mon squelette, il a subi de terribles épreuves, il tiendra bon.
– Vas. Tâche d’arriver au beau matin, sinon nul ne te croira, malgré la puissance d’illusions qui t’habille de cape à os. N’oublie pas ta cane, ce vieux morceau de fer, car sans lui tu ne retrouveras jamais tes vieux apparats chéris d’homme sombre, homme que tu es, et que tu souhaites redevenir, que crois-je ?
– Je le sais, Chapeau, je le sais. Tu crois juste. Je redeviendrai qui je suis, au fort lointain d’un temps futur, une fois passé, alors ma venue terminée.

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